L’entre deux cultures : « Allo, il est mort »

Article : L’entre deux cultures : « Allo, il est mort »
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11 juillet 2016

L’entre deux cultures : « Allo, il est mort »

Le week-end dernier, un de mes fidèles lecteurs résidant en France, a perdu son père au Sénégal. Je profitais du soleil et admirais une magnifique table de brunch lorsque j’ai appris la nouvelle. L’instant d’après, je n’ai vu que du noir et ressenti que de l’amertume après avoir lu cette triste annonce. Je reconnais à la mort, ce don de vous ramener les pieds sur terre.

Je ne sais pas pour vous mais pour ma part, à chaque fois qu’on m’annonce le décès d’un proche, les questions se bousculent dans ma tête. Le défunt avait quel âge ? Comment est-il décédé ? Où ? Dans quelles conditions ? A-t-il dit quelque chose avant de s’en aller… ? Evidemment, excepté son âge, j’ai rarement la réponse à mes autres questions. Et le décès du père de mon ami m’a plongé dans un profond questionnement. Dans ces interrogations et ces peurs qui surviennent quand il y a ce genre de rappel à Dieu, je me suis demandée : comment il l’a su ? Par téléphone ? Via Viber ou Whatsapp ? Qui lui annoncé cette nouvelle ? Le frère ? La soeur ? La maman ? Et lui, comment il a réagi ? Qu’est-ce qu’il a ressenti ? Qu’est-ce qu’il a fait ?

la mort-leregardeminatag.mondoblog.org

Je me suis posée toutes ces questions parce que mon ami est loin. Parce que je suis loin. Parce que nous sommes nombreux à vivre loin des nôtres et que nous redoutons tous ce fameux texto, ce tardif appel viber/whatsapp, cet étrange coup de fil. Inévitablement, on se demande : et si c’était nous ? J’avais le cœur en miettes et les yeux brouillés par mes larmes quand j’implorais le juge d’en haut de garder encore Papa avec moi. Je lui ai rappelé que nous avons encore pleins de sujets sur lesquels nous devons débattre. Que la pile de livres que nous n’avons pas encore lus et critiqués atteindra bientôt le plafond de mon salon. Et pour Mum alors, j’ai rappelé à l’omniscient que je n’ai pas encore terminé ma dernière discussion avec elle. Nous avons encore des courses et des voyages à faire ensemble. Et qu’en est-il de ces sujets brûlants jamais abordés avec elle ? Elle ne sait même pas que j’ai failli être violée par le cousin, son préféré. Elle n’a pas idée que je lui en ai quand même voulu de pas avoir pris le temps de m’expliquer la présence de ce liquide rouge qui tâchait mes sous vêtements. Et enfin j’ai dit à l’omnipotent de me laisser encore papa et mum. Je ne leur ai pas suffisamment touché et je n’ai pas encore tenu mes promesses envers eux : je ne suis toujours pas cette jeune femme douce, diplomate et moins franche. Je continue de faire des dégâts avec ces mots qui sortent de ma bouche sans filtre. Ça prendra du temps, j’y travaille et il faut qu’ils voient le fruit de ce travail.

Quand j’en avais fini de transposer la douleur de mon ami à la perte de mes parents, j’ai tout de suite pensé à certaines femmes mariées de la Diaspora (pas toutes). A ces copines, amies et connaissances qui n’ont pas l’occasion de passer du temps avec leurs parents lors de leur séjour dans leur pays d’origine. Cette tradition, cette culture et cette pression sociale qui leur imposent à passer quasiment toutes leurs courtes vacances chez les beaux-parents les déciment à petit feu. J’en parlais déjà dans ce billet ici.

femme 2Ce que cette pression sociale ne prend pas en compte, c’est le besoin de ces femmes de retrouver des parents qui se sont sacrifiés pour elles. Des petits frères et sœurs admiratifs du parcours de la grande. Une maison familiale et une chambre d’enfance puantes de souvenirs. Ce qu’elle ne veut pas voir cette mégère de pression, c’est que pour rendre visite à leurs propres parents, ces femmes de la Diaspora ont besoin de planifier cela des mois à l’avance, parfois même des années. Et sans oublier bien sûr, les quelques milliers d’euros pour le prix du transport. Oui, car elles n’ont pas cette possibilité d’aller à la maison familiale tous les 15 jours, un mets succulent à bord de la voiture personnelle ou du taxi. Ce qu’elles ignorent surtout, les dames tradition, culture & pression sociale, c’est cette immense frustration avec laquelle ces malheureuses retournent en Occident sans ce sentiment d’avoir profité de leur famille. Je ne vous parle même pas de leurs profonds regrets lorsque la voix au téléphone leur lâchera la phrase : ” Papa est parti”. “Maman nous a quitté”. “Petit frère est parti trop jeune”.

Et je ne pourrais terminer ce billet sans vous rappeler, chères femmes (toi qui te sens concernée par cette pression sociale), que le jour où vos parents quitteront ce monde, personne ne ressentira votre peine. Le jour où vous même ne serez plus de ce monde, personne ne pourra ressentir leur douleur et tristesse. Alors partant de ce principe, passez le maximum de temps avec les vôtres. Cela ne vous empêchera en aucun cas de profiter de votre belle famille. A votre mari qui ne vous soutiendrait pas ou ne vous comprendrait pas, rappelez lui, le bonheur qu’il a de tourner la tête et de tomber sur les yeux de papa et maman. Dîtes lui que vous voulez la même chose. Que vous avez besoin de la même chose, que cela vous est vital.

Que le décideur là-haut nous donne la force de supporter l’arrivée de cet appel : “Allo, il est mort”.

Aminata THIOR

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Commentaires

William
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C'est tellement touchant ce billet.

Moi même je vis loin de ma famille et je redoute cet appel...

Aminata THIOR
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Hé oui, nous sommes nombreux à redouter cet appel :(

Tchonte Silue
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Je panique tres souvent lorsque je n'arrive pas a joindre mon pere pendant une journee. Je me souviens encore que pendant un court sejour que j'ai fait a l'exterieur, j'avais du mal a le joindre et j'ai immediatement pense au pire. Dieu seul sait les larmes que j'ai versees. Pour dire que ton sentiment et ta crainte sont partages. On a beau se disputer parfois avec eux, on prie que Dieu nous garde nos parents encore longtemps.

La partie des femmes mariees a l'etranger m'a fait penser a une amie. Et tu as bien raison...

Aminata THIOR
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Amiine. Et c'est une hantise chez beaucoup d'entre nous.

Sinon pour les femmes, je pense très sincèrement que c'est une réalité au Sénégal/Afrique (en général). Leurs hommes doivent/peuvent faire un effort dans ce sens.