Aminata THIOR

Little Africa à Paris, loin de la ferveur de la fête du mouton

Lundi dans 2 jours, les musulmans du monde vont célébrer la fête du mouton. Comme tous les ans, aux États-Unis, Obama souhaitera une bonne fête aux musulmans de l’Amérique, la Grande Bretagne fera de même avec ses citoyens et résidents musulmans, et en France, on notera un silence de mort dans les institutions officielles. Ah, le malaise actuel au pays de la liberté! N’empêche, l’aïd el kebir est en train de se préparer et elle aura bien lieu. Elle sera fêtée dans l’intimité des maisons et appartements. Seul, en famille ou entres amis.

Par ailleurs, cela fait 10 jours que mes demandes vers l’Afrique sont gelées. Les messages “Pourrait-on le reprogrammer pour après l’aïd stp” et “Désolé(é), je suis pris(e) par les préparatifs de la fête” remplissent ma boite email. Et le énième email de ce matin du même type m’a plongée dans des souvenirs lointains. Petite au Sénégal, je n’aimais pas trop les préparatifs de ce genre de fête. Les heures passées chez la cousine coiffeuse étaient un supplice, une torture pour moi. Rien que d’y penser, je sens la racine de mes cheveux “frissonner”. Je la revois encore tirer sur mes cheveux comme si cela allait lui donner la force de tresser en moins de 2h, les 10 autres têtes qui l’attendaient. Ensuite, il fallait courir derrière le tailleur qui ne finissait jamais à temps les tenues pourtant données longtemps à l’avance. Je revois encore mon père faire un scandale chez le couturier. La honte que je ressentais en voyant tous ces yeux rivés sur lui était immense. Non c’était trop pour la paresseuse et peureuse que j’étais. Adolescente, lycéenne,  je n’avais plus le temps de me plonger dans des préparatifs de fêtes de l’aïd. J’avais choisi de passer du temps avec les mathématiques et la physique au lieu de faire un tour chez la tortionnaire, la coiffeuse. J’en avais enfin fini avec ce beau parleur de tailleur qui ne manquait pas de jurer que j’aurai ma tenue avant la fête et de faire des commentaires sur mes hanches. “Xalébi, yaw mom hanchou nga deh – Jeune fille, vos avez de belles formes généreuses…”. Pervers, le traitais-je dans ma tête. C’est avec la coiffure bas de gamme et rapide à faire appelée “life (des mèches faites avec ses propres cheveux)” dans certains pays de l’Afrique subsaharienne et une robe de Mum que je recevais les invités occasionnels le jour J au soir, à la maison. Lorsque je retournais à l’école après les vacances octroyés pour la fête de l’aïd, je retrouvais les quelques rares filles de ma classe avec la même coiffure que moi : les life. Puis les discussions s’enchaînaient sur les exercices qu’on avait pu faire pendant les vacances (ces jours qui devraient nous permettre de préparer l’aïd). Ailleurs dans le lycée, on retrouvait une ambiance de fête. Les belles tenues de la Tabaski (nom de la fête du Mouton au Sénégal) étaient ressorties et les jeunes filles rivalisaient de leurs belles coiffures.

Sortie de mes souvenirs aigres doux, je décide de prendre mon appareil photo et mon dictaphone pour sillonner les rues du 18ème arrondissement de Paris afin de détecter les préparatifs de cette grande fête musulmane.

 

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Il fait beau. Il est environ 12h. Nous sommes vendredi, à 2 jours de la fête de l’aïd el kebir, à Barbès, dans le 18ème arrondissement de Paris. Ce quartier qui regroupe une grande communauté de l’Afrique subsaharienne et du Maghreb et que certains appellent Little Africa, bat son plein. La sortie du métro grouille de monde. J’aperçois le grand magasin Tati et je me dis tiens, et si on allait demander si la fréquentation de l’enseigne a augmenté ou pas ces dernières semaines en vue de la préparation de la fête. Il n’en est rien. “Il n’y a pas plus de monde que d’habitude”, me répond le chef du stock du magasin. Je le remercie, sors du magasin et longe le boulevard de Barbès qui doit me mener à Château Rouge, cet autre lieu très prisé par la communauté africaine à Paris. Sur ma route, je rencontre deux mamans maliennes. Elles étaient en train de discuter dans une langue qui m’était inconnue. La cinquantaine, je leur donnerai. L’une vendait du jus de bissap (hibiscus rouge) et de bouy (pain de singe) congelé dans de petites bouteilles, le tout mis dans un sac de supermarché. L’autre était certainement une connaissance de la première, restée échanger quelques salamalecs. A ma question « allez-vous fêter la Tabaski?« , elles me répondirent oui. “Mais moi, je viendrai travailler et le soir je cuisinerai pour la famille”, ajoute la vendeuse dans un français approximatif. Son amie enchaîne en précisant qu’elle fêtera bien la Tabaski à la maison ce lundi. “J’ai dépensé beaucoup d’argent pour cette journée. J’ai acheté du bazin (tissu africain) et fait faire nos tenues au Mali et cela m’a coûté assez cher pour ne pas en profiter”, m’affirme-elle. Justement en parlant de bazin, j’aperçus la boutique Mama Getzner sur la rue Polonceau qui aujourd’hui n’enregistre pas de file indienne. Ma discussion se passa très bien avec elles jusqu’au moment où je sortis mon dictaphone pour enregistrer notre conversation. A la vue de cet objet, avant même que je ne leur demande si elles acceptaient d’être enregistrées, la vendeuse avait perdu les quelques mots français de son vocabulaire, puis l’autre s’était sauvée presque en courant, avec un au revoir furtif à son amie. J’éclatais de rire tout en remerciant la vendeuse et en prenant la direction de la boutique Mama Getzner.

J’arrive dans ce fameux magasin où il y a juste quelques semaines, une immense queue d’humains s’ajoutait au décor et se voyait au loin. La boutique est située sur une rue en pente. Elle est très étroite et construite en longueur. A l’intérieur, quelques rares clientes aux mines indécises et 3 ou 4 employés y circulaient. J’enchaîne sur un ton familier en demandant le pays d’origine des clients du magasin. L’un des employés me lance sur le même ton : “99% de nos clients viennent du Sénégal et il y a aussi beaucoup d’Algériens”. Ah bon, des Algériens ? rétorquai-je. “Oui, oui« , continuait-il. La discussion allait bon train lorsque l’un des gérants de l’enseigne me demanda la raison de mes nombreuses questions. “Pour écrire” était le début de la phrase que je n’ai pas finalement terminée. “Le patron ne veut pas qu’on écrive un livre sur Mama Getzner” me coupa-t-il, sur un ton mi-désagreable, mi courtois. Là encore, j’éclatais de rire car j’avais bloqué sur l’expression “écrire un livre”. L’atmosphère se détendit lorsque j’ai pu expliquer mon besoin. Ceci étant, je n’ai pas eu le droit de prendre une photo, et je ne dois pas « écrire un livre sur  Mama Geztner”. Je les remerciais et continuais ma recherche de la fièvre de la Tabaski dans le quartier africain de Paris.

A la sortie de la boutique de Bazin, je rencontre Amy, Sénégalaise, la quarantaine. Elle me répond qu’elle ne fêtera pas la Tabaski ce lundi. “Je viens tout juste de commencer un nouveau job, je ne peux pas me permettre de poser un jour de congé”. Monia, ivoirienne, la quarantaine également, ira travailler ce lundi. “Je rentre comme ça d’Abidjan, je ferai la fête le soir après le boulot”, me dit-elle sur un ton d’évidence. Je rentre dans une boutique de bijoux en or et je demande s’il y avait une plus grande fréquentation ces dernières semaines. Le gérant, assis nonchalamment derrière son comptoir, me précise NON d’un signe de la tête. En quittant la rue Polonceau, je prenais des photos, ce qui intrigua fortement un homme, la trentaine. Il me souriait bêtement. Ce genre de sourire idiot qui vous donne envie de demander à l’auteur le pourquoi de ce spectacle. “Votre appareil est sophistiqué” vous répondra-t-il, avec le même sourire bizarre. Ah non, il est pourri, vous lui retournez. « Ah! Et vous l’avez acheté à combien? » Vous lui donnerez le prix! Et vous enchaînez sur ce qui vous intéresse : vous êtes de quel pays? Le Burkina Faso. Ah vous êtes musulman? Et là, il vous regarde avec les yeux écarquillés, la tête en arrière, comme s’il avait vu le diable en personne. Pour finir, il se sauve comme il était apparu. Et à cet instant, c’est vous qui arborez ce sourire bête et con sur la tronche.

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Je passe à la rue Myrha, dans un salon de coiffure spécialiste des tresses africaines. Hawa, la gérante, m’accueillit chaleureusement comme si nous nous connaissions depuis fort longtemps. L’endroit était presque vide. Une télé accrochée au plafond au coin gauche à l’entrée et une coiffeuse en train de s’affairer sur la tête d’une des rares clientes du salon donnaient vie au lieu. Là non plus, il n’y a pas plus de monde ces dernières semaines. “C’est pendant les fêtes de fin d’année qu’il y a un afflux de clientes mais pas pendant les fêtes religieuses, nous n’avons rien”, me dit-elle sur un ton de dépit. Le constat était le même chez l’atelier de couture qu’elle gère également. “Le carnet de commande est aussi vide qu’il y a deux mois« , ajouta -t-elle. Ma demande d’enregistrer notre conversation et de prise de photo du salon fut gentiment refusée. Je la remerciais et continuais ma route. Sur mon trajet, je passais dans les magasins d’extensions de cheveux. Là encore, c’est aussi presque le désert. Et aujourd’hui et les semaines passées. Dans la rue, ma tignasse attirait les coiffeuses de Château Rouge comme le miel attirerait des abeilles. J’en profitais pour connaître l’affluence de leurs clientes par rapport à la fête de Tabaski. Si certaines ont préféré prendre la tangente, d’autres m’ont répondu sur un ton dépité. C’est le cas de Idia : “il n y a pas beaucoup de clientes dans ce coin. Je suis Guinéenne, je suis arrivée à Paris il y a 6 mois et je m’attendais à avoir beaucoup de têtes à tresser pendant la fête de Tabaski. Je suis déçue. Ce n’est pas comme au pays”, dit-elle, dégoûtée et dépitée. Le niveau élevé de sa colère ne me permettait pas de poser une question de plus. D’ailleurs, je n’ai plus de questions, je rentre. il n’y a rien de grouillant ici. Et ils ont peur des dictaphones. Et puis à quoi ça sert de préparer une fête de ce genre ? ça ne sera jamais comme là-bas.

 

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Sur le chemin du retour, j’entends la voix d’un homme me dire, “ Aminata, fais attention à ton appareil. Ici, on va te l’arracher vite fait.” Je me retourne et tombe sur Iba, le fils aîné de la voisine à Dakar. C’est la 2ème fois que je le rencontrais accidentellement dans le 18ème. Nous discutions comme si nous nous étions jamais quittés. En réalité, cela faisait 10 ans que je ne l’avais pas vu. Lui non plus ne fêtera pas la Tabaski. “Le boulot, puis je suis seul. A quoi bon?« , me dit-il sur un ton détaché mais amer.  Je lui fis un large sourire et lui demanda une photo. Je voulais absolument un souvenir de cette journée.
Aminata THIOR


Sénégalais formés à Polytechnique Paris : que sont-ils devenus (1)

Mon été 2016 fût riche en rencontres, échanges et découvertes. Parmi ces découvertes, des Sénégalais formés à Polytechnique Paris en font partie. Naturellement, quand on voit les siens accéder aux meilleures filières du monde, on se pose au moins ces deux questions : qui sont-ils ? Et que font-ils à la sortie de ces filières ?

Sénégalais formés à polytechnique Paris

A la vue de cette photo présentée ici, je me suis posée ces questions par simple curiosité. Pour savoir. Pour découvrir. Puis j’ai eu cette envie de partager. Partager avec ceux qui voudront comme moi, savoir tout simplement. Partager avec ceux qui se cherchent et qui pourraient suivre les voies des meilleurs. Partager avec ces jeunes, à qui on fait la promotion de la médiocrité tous les jours. Partager avec ceux qui ne savent pas que les leurs sont tout aussi capables que les géants du monde. Partager pour montrer qu’ils sont peut-être loin mais ô combien acteurs du développement du Sénégal. Partager tout simplement.

Je commence le récit de ces parcours par deux anciens X qui m’ont marquée par leurs parcours assez similaires, leur envie débordante de partager leur expérience mais aussi et surtout leur humilité. Oui oui : humilité, eux qui sont si souvent traités d’arrogants par certains collègues des autres grandes écoles d’ingénieurs. Je vous préviens, cela va être long. Si vous avez le temps, tentez le coup et lisez jusqu’au bout. Et si vous êtes pressés, je vous préconise de lâcher l’affaire. Mais attention, repassez ; ces expériences partagées pourraient vous inspirer.

Lorsque ma demande d’interview fut envoyée à la mailing list des X sénégalais, il fut le premier à me répondre. Il avait rédigé un long email avec un détail de son parcours et à la fin du dit email, il me fit une proposition de rencontre à Paris, puisqu’il y était pour ses vacances. Bien sûr que la prolixe que je suis préfère 10 millions de fois une rencontre physique qu’un parcours détaillé dans un email. Les milles et une choses qu’on pourrait découvrir dans un entretien oral ne pourront jamais remplacer des informations brutes fournies sur une feuille blanche. Lui, c’est Thierno Ly.

Thierno Ly-leregardeminatag@mondoblog.org

Elève au lycée Limamoulaye en série S1, lauréat au concours général (2ème prix de mathématiques), Thierno est arrivé à Paris en 2003 après l’obtention de son baccalauréat avec une mention AB. A l’époque c’était le lycée qui s’occupait de toutes les démarches administratives pour l’obtention d’une pré-inscription en France. La consigne était d’éviter Paris (parce que c’est cher) et de choisir les villes où les élèves avaient des connaissances. Thierno lui, choisit Paris parce qu’il y avait des amis ainsi que l’Université Val de Marne, appelée aussi Paris 12, parce que la filière STPI (Science et Technologie pour l’Ingénieur) n’existait qu’à Paris et dans une autre ville où il ne connaissait personne.

La première semaine à Paris 12 fut un choc pour moi. Le niveau en maths-physique était faible et il m’arrivait souvent de corriger certains professeurs”, raconte-il, un sourire hésitant aux lèvres. Par la suite, Thierno a cherché à changer de filière. L’administration de Paris 12 lui informa que c’était chose impossible, il fallait attendre la fin du premier semestre pour tout changement. Au semestre suivant, il quitta STPI pour faire science de la matière avec des dominantes en Physique et Chimie. Il y fera peu de mathématiques. Cela ne lui convenait toujours pas. Il fit alors des recherches pour une nouvelle université qui le menèrent à Paris 6, communément appelé Pierre et Marie Curie, la meilleure université de France à l’époque. Il fut pris directement en 2ème année à Paris 6 sur dossier. Là-bas, il découvrit le système des prépas intégrées (les universités avec une filière prépa) qu’il rejoignit naturellement.

Ma 2ème année à Paris 6 se passa très bien. Les matières scientifiques étaient de haut niveau et les cours, intensifs” confie-t-il. Il a ensuite passé les concours d’entrée aux grandes écoles (INSA, Supelec et autres) qu’il réussit tous et choisit Supelec. En parallèle, ses professeurs lui avaient conseillé de passer le concours de Polytechnique Paris. Thierno était un étudiant inscrit à Supelec lorsqu’il a déposé un dossier pour intégrer l’X. Il fut pré-sélectionné, puis sélectionné, avant de passer le concours qu’il réussira avec brio. C’est en plein mois d’avril que Thierno Ly quitte Supelec pour rejoindre Polytechnique Paris. Nous étions en 2006.

Ma chance, je pense, c’est d’avoir été le premier de la famille à avoir fait l’école française et d’avoir eu des parents qui m’ont poussé vers le haut. Par la suite, c’est par vocation et passion que je me suis entièrement consacré aux études.

Au même moment, un autre jeune homme, ancien élève du lycée Limamoulaye également, lauréat au concours général et bachelier S1 avec mention Bien, avait lui, directement intégré Paris 6 dès son arrivée en France en 2004. Lui c’est Talla Gueye. Dans une famille, il y a souvent parmi les enfants, le réglo, le bosseur, le gentil le meilleur dans la conduite. Celui que les parents désignent toujours comme l’exemple. Au lycée Limamoulaye, avec la promotion 2005, c’était Talla Gueye, le modèle à suivre. Les élèves de Terminale de la seule S1 du lycée Limamoulaye et de la classe pilote S2F (à l’époque il existait le système de classe pilote où le lycée Limamoulaye mettait les meilleurs élèves de chaque série dans une classe) se souviendront de lui. Tous les professeurs de maths, physique et chimie rappelaient sans cesse son génie aux élèves. Quand on lui rappelle cette anecdote, il ne tarde pas à préciser qu’ils y en avaient des plus intelligents que lui mais qui ont été distraits en cours de route par le football ou contraints de travailler pour subvenir aux besoins de leurs familles. “Ma chance, je pense, c’est d’avoir été le premier de la famille à avoir fait l’école française et d’avoir eu des parents qui m’ont poussé vers le haut. Par la suite c’est par vocation et passion que je me suis entièrement consacré aux études.” conclut-il, d’une voix posée et assez gênée.

Talla Gueye-leregardeminatag@mondoblog.org

Si Talla avait directement rejoint Paris 6 après son Bac, c’est parce-qu’il a eu ce qu’il appelle un “éclaireuret cet éclaireur n’est personne d’autre que Thierno Ly. “Thierno est l’une de ces personnes qui non seulement réussissent mais aident également les autres à réussir. Il m’a énormément apporté dans ma vie scolaire tout comme Cheikh Tidiane Diagne, cet autre aîné qui m’a fourni de prestigieux conseils sur mon parcours professionnel. Nous étions nombreux à bénéficier de leur aide lorsque nous étions au lycée.” confie Talla, enthousiaste. En effet, Thierno et Talla se connaissaient depuis Dakar. Ils ont fait le même lycée. Quand Talla était en 1ère, Cheikh et Thierno étaient en Tle. Ce dernier partageait avec Talla et d’autres, ses cours et exercices de Terminale. Arrivé en France, Thierno continuait à informer son cadet depuis Paris des formations d’excellence existantes sur place. “ Sur les conseils de Thierno, j’ai directement intégré Paris 6 et évité les mauvaises surprises qu’il a eues à son arrivée en France.” Se rappelle-t-il.

 

Sénégalais formés à Polytechnique Paris-leregardeminatag@mondoblog.org

Les deux jeunes de Limamoulaye se sont donc retrouvés à l’X. Si le choix de Thierno pour Polytechnique Paris a été motivé par les professeurs dans un premier temps, puis attiré par le prestige de l’école, celui de Talla est tout autre. En effet, ce dernier, à 18 ans, avait une vision claire de ce qu’il voulait faire : un doctorat en mathématiques et devenir enseignant. Au fil des ans et face à une certaine situation familiale, il opta pour un compromis entre sa passion, les mathématiques, et l’opportunité de finir rapidement les études et d’avoir une très bonne situation pour aider les siens. Donc avant d’intégrer l’X, Talla avait passé et réussi le concours d’entrée à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Paris pour devenir enseignant. Il s’est retiré de l’ENS pour intégrer l’X en plein mois d’avril 2007.

Les choix professionnels après Polytechnique Paris

Aujourd’hui Talla et Thierno se sont retrouvés salariés chez Total par le plus grand des hasards. Ce n’est ni le cadet qui a suivi l’aîné, ni l’éclaireur qui a conseillé son poulain mais un bienheureux concours de circonstances.

Pour Talla, la filière d’ingénieur à l’X lui permettait de travailler toutes les matières qu’il aimait : mathématiques, mécanique, physique, chimie, informatique,… « Je ne me suis pas du tout ennuyé à Polytechnique car je touchais à tout et je voulais retrouver cet aspect multi-discipline dans mon futur job. Le domaine du pétrole répondait à ces exigences et Total est l’un des meilleurs dans le secteur”. Argumente-t-il. En effet pour Talla, rejoindre Total lui permettait d’appliquer toutes ces disciplines scientifiques dans son travail de tous les jours. « De plus, je voulais évoluer dans un environnement international et Total m’offrait l’opportunité de changer de pays tous les 3 ans en moyenne« . Poursuit-il Talla a ainsi rejoint Total depuis 6 ans maintenant. Il a fait 2 ans à Paris et depuis 4 ans, il évalue et optimise la production de champs offshore (des réserves de pétrole) au Nigéria . Il réalise également des travaux de développement et de prévision de la production de pétrole d’ici 20 ans. Dans quelques mois, il s’envolera au Moyen Orient, à Abu Dhabi, pour dit-il, être au coeur de la zone qui a la plus grande réserve de pétrole mais aussi être davantage sur le terrain pour approfondir ses connaissances et compétences. “Plus tard, je souhaiterai utiliser ces expériences acquises sur le terrain pour servir le Sénégal. Et ce dès que l’opportunité se présentera”. Ajoute-il.

Quant à Thierno, c’est à cause de 2 malheureuses expériences qui l’ont conduit dans le domaine du pétrole puis courtisé par Total avant même l’obtention de son diplôme. En effet, en 2ème année à l’X, le jeune polytechnicien avait effectué son stage de découverte à l’office National de l’Aéronautique et Aérospatial, l’ONERA (l’équivalent de la NASA à la française). Expérience qu’il avait aimé et qui l’avait poussé en 3ème année,  à faire ses choix de matière qui répondaient aux besoins de sa passion nouvelle : l’aéronautique et l’aérospatial.

Au bout de 3 mois, j’arrive et je n’avais même pas accès à l’intranet. J’étais tout seul dans un bureau et mon encadrant à l’époque avait mis tout ce dont j’avais besoin pour travailler dans un disque dur et m’a dit « Tiens, tu travailles avec ça ».

Lors de son stage de 3ème année, l’ONERA l’avait recontacté pour une opportunité de 6 mois. Proposition que l’élève ingénieur accepta avec enthousiasme. Durant ce stage, il a eu la mauvaise surprise de constater que c’était un domaine fermé aux étrangers. La première mauvaise expérience était qu’il avait dû attendre 3 mois après le Go de l’ONERA avant de débuter sa mission. Une enquête pour vérifier qu’il n’avait aucun antécédent était passée par là. « Au bout de 3 mois, j’arrive et je n’avais même pas accès à l’intranet. J’étais tout seul dans un bureau et mon encadrant à l’époque avait mis tout ce dont j’avais besoin pour travailler dans un disque dur et m’a dit « Tiens, tu travailles avec ça » ». Confie-t-il, un large sourire aux lèvres, la tête acquiesçant la surprise qui se lisait sur mon visage.

Je fus interdit de participer à ces rencontres du fait de ma nationalité sénégalaise.

Sa 2ème mauvaise surprise apparut dans un long projet avec une équipe de 5 personnes où ils devaient créer un satellite gravitant autour du soleil. “Nous avions récolté des informations sur le projet et lorsque nous devions rencontré des experts du domaine pour échanger sur le projet, je fus interdit de participer à ces rencontres du fait de ma nationalité sénégalaise. Il fallait être Français ou ressortissant de l’UE pour assister à ces réunions car classées top secrètes par soucis d’espionnage technologique.”Raconte-t-il.

Avec ces deux mauvais souvenirs, Thierno comprit que son statut de non Européen ne lui permettrait pas de travailler dans ce domaine. “J’ai dû changer tous mes plans pour la 4ème année »précise-t-il. En effet, pour sa 4ème année, Thierno avait postulé à Supaero, Mines, Pont et chaussées pour y étudier de l’aerospatial. Après ces terribles expériences à l’ONERA, il a cherché un secteur dans lequel il pouvait s’épanouir en Afrique. Et le pétrole s’est imposé à lui naturellement. « J’ai ainsi effectué ma spécialisation en 4e année à l’ENSPM (Ecole Nationale Supérieure du Pétrole et des Moteurs), aujourd’hui appelée IFP (Institut Français du Pétrole). Avant même l’obtention de mes 2 diplômes (X et IFP), j’ai été embauché chez Total S.A. en septembre 2009 où je travaille depuis 7 ans maintenant » Conclut-il. Tout comme Talla, Thierno a également intégré une filière chez Total qui lui permet de bouger régulièrement. « J’ai commencé en tant qu’ingénieur réservoir (une branche des géosciences) de 2009 à 2011. Ensuite je suis parti au Nigéria en tant qu’ingénieur « Well performance » (gestion de la productivité et de la performance des puits) pendant 2 ans. De 2013 à juin 2016, j’ai été affecté au Gabon en tant qu’architecte pétrolier (connu sous le nom d’Ingénieur Planning et Développement dans le monde anglo-saxon) ». Précise-t-il. Lorsque nous nous sommes rencontrés en début août, Thierno s’apprêtait à s’envoler pour l’Angola pour s’occuper de la coordination des campagnes de revamping des plateformes pétrolières offshore de Total.

J’ai envie de partager cette réalité pour dire à ceux qui le vivent qu’ils ne sont ou n’ont pas été les seuls mais aussi et surtout pour éviter que d’autres le vivent.

Tout comme moi, vous pourriez vous demander pourquoi il a accepté de parler de ces mauvaises expériences à l’ONERA. Sa réponse m’a encore confirmée la générosité de cet homme dans le partage d’expérience. «J’ai envie de partager cette réalité pour dire à ceux qui le vivent qu’ils ne sont ou n’ont pas été les seuls mais aussi et surtout pour éviter que d’autres le vivent ». Réplique-t-il, sur un ton ferme.

Les liens avec le Sénégal

Reconnaissance. Tout au long de mes échanges avec Thierno et Talla, j’ai senti leur fort sentiment de reconnaissance envers le Sénégal. Ils font parti de ces milliers de jeunes sénégalais qui affirment qu’au delà du mérite, de ne jamais pouvoir sortir du pays s’ils n’avaient pas obtenu la bourse du gouvernement et s’il n’y avait pas eu une administration de leur lycée qui s’est occupée de leur demande de pré-inscription dans les universités françaises. En plus de leur bourse qu’ils partageaient avec leurs familles restées au pays dès leur première année en Occident, ils se sont lancés dans divers projets en destination de leurs proches et des élèves du lycée Limamoulaye.

Nous sommes nombreux à être boursiers et à être volontaires pour assister les plus jeunes mais nous n’avons pas de structures officielles et sûres pour le faire

C’est ainsi que Talla initia, avec d’autres camarades de promo, un projet qui vise à  distribuer des manuels scientifiques au programme aux élèves, les orienter, soutenir les plus démunis en mettant des professeurs à leur disposition pour des cours particuliers et aider ceux qui veulent continuer leurs études supérieures dans leurs démarches administratives au Sénégal et une fois dans leur pays d’accueil. “Le plus important pour moi est d’aider ceux qui vont arriver en France et que ces derniers puissent rendre l’appareil à d’autres.” affirme-t-il. Toujours dans cette logique d’aide aux cadets, Talla a émis l’idée d’un système de remboursement de la bourse à la fin des études et ce avec un certain pourcentage. L’objectif étant de soulager les plus démunis et que ces derniers continuent la chaîne d’aide. “Nous sommes nombreux à être boursiers et à être volontaires pour assister les plus jeunes mais nous n’avons pas de structures officielles et sûres pour le faire”. Renchérit-il. Tout comme Talla qui s’est totalement engagés dans des projets éducatifs, Thierno a également beaucoup investi dans l’éducation. Ainsi avec son frère, il a créé l’école privée Mamadou Dia aux parcelles assainies, dans la région de Dakar. De plus, il a investi dans les transports afin de rendre financièrement autonomes certains de ses proches et participer ainsi à l’économie du pays.

Le retour au pays

J’aurai tellement voulu que les dirigeants sénégalais aient cette politique de venir chercher dans la diaspora, les profils qui ont des compétences pointues dans certains domaines. Cela ne pourrait être que bénéfique pour le pays.

Je suis très attentif aux offres du marché dans le domaine du pétrole au Sénégal. Il y a des projets et des entreprises qui émergent. Si j’ai une offre qui prend en compte mes expériences dans le domaine et qui me permet de vivre décemment au pays, je rentrerais sans hésitation”. Confie Thierno. Par ailleurs, il déplore que l’Etat du Sénégal finance les études de certains fils du pays et que ce soit la France qui profite de ces talents. Et c’est cette même France qui se plaint de ses étudiants qui partent aux US pour terminer leurs études. “J’aurai tellement voulu que les dirigeants sénégalais aient cette politique de venir chercher dans la diaspora, les profils qui ont des compétences pointues dans certains domaines. Cela ne pourrait être que bénéfique pour le pays.” Conclut-il, sur un ton triste.

Quand à Talla, la question du retour dépendra des opportunités qui se présenteront à lui. En attendant, il estime être utile au pays même en étant loin. “Je retourne au Sénégal 4 fois dans l’année pour me consacrer aux projets éducatifs évoqués et d’autres que je ne pourrais étaler tant qu’ils ne seront pas réalisés. Ces retours fréquents me permettent aussi de prendre état de la situation du pays et des possibles projets comparés à ce qui se fait de mieux à l’étranger. Conclut-il, optimiste.

Entre émotion, questionnement et espoir

Mon père était fier quand il a vu cette photo de moi avec l’uniforme de l’X. Tu vas devenir policier me demandait-il souvent sur un ton moqueur.

On en arrive à la fin du récit de ces deux parcours et j’avoue que pendant la rédaction de ce billet, je suis passée par toutes les émotions. La fierté. Talla et Thierno sont issus de familles très modestes, où ils étaient les seuls à avoir fait de grandes études. En quittant le Sénégal, ils portaient déjà un certain poids social et familial sur leurs épaules. Ils ont eu un parcours atypique excellent à l’étranger avec des parents qui ne mesuraient pas forcément l’ampleur du travail de leurs fils. “Mes parents n’étaient même pas au courant que j’avais intégré Paris 6, polytechnique Paris et aujourd’hui Total. Je ne leur ai rien dit, car ils ne comprendraient pas”, me disait Thierno. Quant à Talla, les siens  ne connaissaient pas non plus le prestige de cette école, mais ils savaient que leur fils s’en sortait très bien. “Mon père était fier quand il a vu cette photo de moi avec l’uniforme de l’X. Tu vas devenir policier me demandait-il souvent sur un ton moqueur”. Raconte Talla. Si vivre dans un tel cadre familial les a réussi, d’autres en auraient pu être bloqués. D’où encore leur mérite.

Sénégalais formés à Polytechnique Paris-leregardeminatag@mondoblog.org

Ensuite, j’ai découvert en eux de vrais ambassadeurs du Sénégal et de véritables investisseurs. Ils ont beaucoup investi dans les transports, l’immobilier et l’éducation au pays. Certains projets ont abouti et d’autres sont en cours de réalisation. Et là un tourbillon de questions se déclenche dans ma tête. Seraient-ils capables de faire tous ces projets s’ils étaient restés au Sénégal?  Un Thierno et un Talla sont-ils moins patriotes que celui qui a laissé toutes les opportunités en Occident pour retourner chômer au pays (au nom du patriotisme et du “être chez soi”)? Ne peut-on pas être à l’étranger et avoir plus d’impact sur son pays? Qu’est-ce qui compte finalement : être au pays ou agir, faire pour le pays? J’extrapole et je me suis demandée si les Français qui partent en Chine et au Japon pour ouvrir des restaurants et vendre ainsi la gastronomie française, sont-ils moins patriotes que ceux qui sont restés? Ces mêmes Français qui partent en Grande Bretagne pour créer des entreprises et revenir investir en France, sont-ils moins patriotes que les autres qui travaillent en France ? Je n’ai pas toutes les réponses mais chaque concerné pourrait y réfléchir et y répondre.

Je sors de ce tourbillon de questions et je me replonge dans un autre. Comment expliquer que le Sénégal ait récemment découvert du pétrole et qu’il n’ait pas contacté ses meilleures ressources dans ce domaine. Polytechnique Paris forme des futurs dirigeants. En France, ils sont à la tête de grandes entreprises. Certains pays étrangers “récupèrent” leurs meilleurs profils sortant de l’X et des grandes écoles d’ingénieurs pour les placer sur des secteurs clés du pays. La Côte d’Ivoire l’a fait, il fut un temps. Pourquoi ne pas créer cette atmosphère, cette ambiance, cette ouverture au Sénégal? On parle d’une jeunesse en défaut de repères alors que nous ne mettons pas les meilleurs au devant de la scène. Pourquoi ne pouvons-nous pas voir un Talla ou un Thierno dans les affaires de la cité de Mamadou Ibra Kane (c’est un exemple parmi d’autres) pour débattre sur le pétrole? Sur notre pétrole?  Pourquoi nous ne les impliquons pas tout simplement? Ici je parle de Talla et Thierno, mais je peux facilement le généraliser en parlant de tous ces jeunes brillants vivant au Sénégal ou dans la diaspora qu’il faudrait rappeler, récupérer, valoriser …

Et je terminerai avec une note d’espoir. Autant j’ai été marquée par le désir ardent de ces jeunes hommes d’aider et de partager leurs expériences, autant j’ai été surprise de constater que leur volonté d’aider se heurtait à une absence de structure officielle et fiable. En effet, ils font partie de ces nombreux boursiers de l’Etat du Sénégal, aujourd’hui salariés, prêts à participer à un système de remboursement total de cette bourse. Ce remboursement se fera dans le temps, en fonction des moyens de chaque ancien boursier. Ceci dans le but d’aider d’autres qui puissent avoir eux aussi leur chance. Thierno et Talla  réalisent déjà des projets et ils semblent désireux d’en faire plus. Mais à qui s’adresser? Peut-être à toi qui me lira. A toi qui trouveras que c’est un défi que tu pourrais relever. Un projet qui pourrait t’intéresser. Peut-être au gouvernement qui met autant d’effort pour que ses meilleurs éléments quittent le pays et peu de moyens pour garder la trace de ces derniers et les récupérer systématiquement. J’ai espoir.

Je garde espoir aussi pour un meilleur système organisé par la génération décomplexée que nous sommes. J’ai espoir que nous créerons les futurs médias qui feront appel aux meilleurs de leurs domaines afin de nous informer au mieux. Des organes de presse qui mettront en avant sur les plateaux de télé et stations de radio, ceux qui savent, inspirent et donnent l’exemple. Et surtout j’espère qu’ils feront la démarche d’aller les chercher. Oui parce qu’il faudra aller les chercher, les dénicher, comme le font les plus grandes nations du monde. Ils ne viendront pas d’eux mêmes. Les tonneaux pleins ne font pas de bruit.

Je garde espoir et espère que ceux d’entre nous qui aspirent à diriger le pays demain, prennent en compte dès maintenant cette nécessité de prôner, récupérer, utiliser et d’appliquer l’excellence. Et enfin, j’ai espoir que les futurs chefs d’entreprises parmi nous iront chercher ces meilleurs profils partout où ils se trouveront.

J’ai adoré échanger avec ces fils du Sénégal et citoyens du monde. Ils incarnent réellement le travail, la générosité et l’humilité. Croyez-moi, si je le répète, c’est parce-que ce ne sont pas que de simples mots. Merci à toi le courageux qui a lu jusqu’ici. Sache que Thierno se dit prêt à échanger avec toi si jamais tu veux en savoir un peu plus sur son parcours, ou si tu veux intégrer Total (en stage ou CDI) ou encore, si tu veux échanger sur le sujet du pétrole en Afrique. En outre, si tu es collégien ou lycéen, Talla te donne rendez-vous à l’association sakku Xam Xam pour te prêter des livres, t’orienter et t’encadrer. Pour les amoureux de la lecture, il vous recommande, le “Discours de la méthode” de Descarte (livre qu’il lit 3 fois dans l’année et qui lui donne à chaque fois, de nouvelles perspectives) et “Cosmos” de Carl Sagan. Pour les philosophes, il pense que vous devriez lire , si ce n’est pas encore le cas, “L’Alchimiste” de Paolo coelho et “La ferme des animaux” de Georges Orwell.

Aminata THIOR


L’excellence sénégalaise à Polytechnique Paris

Tout est parti de ce post Facebook :

Quand j’ai vu le directeur de la SGEE (Service de Gestion des Etudiants sénégalais à l’Etranger) accompagné d’un des Sénégalais qui a réussi cette année le concours d’entrée de la prestigieuse école d’ingénieurs Polytechnique Paris, surnommée X, je me suis dit : « Ah c’est très bien ça! Mais d’ailleurs que deviennent ces Sénégalais à la sortie de cette école d’élite ? », sous-entendu : est-ce qu’ils rentrent servir le pays ?

Pour ceux qui ne connaissent pas, Polytechnique Paris – communément appelé X – est la meilleure école d’ingénieurs de France. Une école d’élite. L’enseignement y est excellent et les opportunités à sa sortie sont immenses et plus que garanties. Un rapide tour sur le net pour me renseigner sur ces Sénégalais formés à X ne me donne pas de résultats fructueux. Je n’obtiens pas mieux non plus avec une recherche plus globale sur les étudiants sénégalais formés dans les grandes écoles en Occident. Les quelques rares articles trouvés ne répondent pas à mes questions. Et là on râle. Quand est-ce que les médias du pays de l’émergence vont comprendre que la diaspora sénégalaise ne se limite pas aux vendeurs à la sauvette de la Tour Eiffel ? Ni aux “modou modou” de l’Espagne et de l’Italie, encore moins aux gérantes de salons de coiffure aux Etats-Unis. La diaspora sénégalaise compte aussi parmi elle toute cette jeunesse qui quitte le pays pour des études supérieures d’excellence à l’étranger. On ne fera pas assez de documentaires et reportages sur leur présence dans les grandes écoles et entreprises du monde ; sur leurs potentielles difficultés de trouver un logement universitaire ou tout simplement sur leur forte envie de retourner dans leurs pays d’origine. On oublie que cette jeunesse fait vivre des familles au Sénégal. Ces gamins, j’ai envie de les appeler ainsi, participent également et fortement à l’économie sénégalaise. J’ai donc commencé cette recherche des Sénégalais formés à X avec cette tristesse que les fils et filles du pays qui brillent à l‘étranger sont souvent oubliés par les leurs.

En plus de cette tristesse, vient se rajouter les résultats catastrophiques du BAC 2016. Que c’est dur pour les élèves non admis. Que c’est dur pour les parents. Que c’est dur pour le pays. C’est tellement dur qu’on en oublie ceux qui ont réussi avec brio ce baccalauréat. Sur 144 000 candidats, il y a eu 294 mentions Bien et 2616 mentions AB dixit un représentant du ministère de l’enseignement supérieur sur le plateau de Jakaarlo bi du vendredi 22 juillet.

De mauvais résultats justifieraient-ils un silence sur ces brillants, chanceux et méritants qui vont quitter le pays pour des études supérieures à l‘étranger ? Non, je ne le pense pas. Vous allez sûrement vous dire : « ouais on forme une élite pour l’Occident ». Ou encore parler de fuite de cerveaux. Vous allez certainement fustiger l’Etat. Soit. Mais au moment où vous lisez ce billet, en juillet 2016, est-ce que nous avons un système éducatif qui s’occupe et valorise ses meilleures ressources ? Est-ce que nous avons un enseignement supérieur de qualité qui pourrait les retenir dans le pays ? Est-ce que nous leur faisons les mêmes propositions d’opportunités que les écoles étrangères ? Si nous sommes objectifs et réalistes, la réponse est clairement NON. Alors on fait quoi en attendant d’avoir des universités et des écoles d’excellence ? On fait quoi en attendant des entreprises qui reconnaissent leurs valeurs ? On fait quoi en attendant qu’ils aient des laboratoires de recherche ? On fait quoi en attendant d’avoir des Xavier Niel et des écoles 42 ? On les laisse partir, se former dans les meilleurs universités et écoles du monde. On les laisse entrer en compétition avec le reste du monde et ensuite venir servir le pays. En attendant, nous devons les pousser, les porter haut et les galvaniser pour qu’ils motivent, inspirent et encouragent d’autres jeunes.

Ces brillants fils du pays sont dans les meilleurs universités du monde, les meilleures Prépa, les meilleures écoles d’ingénieurs et de commerce, et  dans les plus grandes villes du monde. Les derniers chiffres de Campus France sur les étudiants Sénégalais à l’Etranger en attestent.

Source campus France : prospect statistiques Sénégal (2013 -2014)
Source campus France : prospect statistiques Sénégal (2013 -2014)

Je suis donc allée à la recherche et à la rencontre des Sénégalaises et Sénégalais formés à X. J’ai choisi de faire un focus sur ces ambassadeurs du Sénégal chez l’élite étrangère, Française en l’occurrence, parce qu’ils avaient déjà des parcours exceptionnels au Sénégal. Parce qu’ils ont été choisis parmi les meilleurs des meilleurs pour intégrer Polytechnique Paris. Parce que c’est un minimum de savoir et de s’intéresser à ce que deviennent nos meilleurs élèves à l’étranger. Et enfin parce qu’ils considèrent que cette formation d’excellence est accessible à leurs frères et sœurs restés au Sénégal.

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Macky Sall en visite à l’école Polytechnique de Paris en décembre 2015

Mais qu’ils sont beaux dans leurs uniformes. J’ai été scotchée par ces visages juvéniles, ces sourires francs pour certains et timides pour d’autres avant de mettre une voix sur chaque visage.

Le premier sur la droite s’appelle Samba Lô. Il a fait toute sa scolarité, de la maternelle à la terminale aux cours Sainte Marie de Hann à Dakar. Il obtient en 2011 son Bac S1 avec une mention AB et s’envole pour Lyon, à l’université Claude Bernard où il effectue une licence en Mathématiques, dans une filière qui préparait aux concours d’entrée aux  grandes écoles. 3 ans après, il réussit aux concours de la majorité des écoles où il avait postulé mais hésitait entre l’école des Ponts et Chaussées et Polytechnique Paris. Convaincu par ses parents et des amis, il a fini par dire oui à l’X. Actuellement, il est en deuxième année de son cycle d’ingénieur. J’ai trouvé en Samba, un garçon passionné et passionnant. Il parle d’entrepreneuriat, de nouvelles technologies avec des exemples concrets de leur application au Sénégal, en Afrique en général, et a un discours très rodé sur les raisons pour lesquelles il faut rentrer aujourd’hui et maintenant sur le continent. Samba a une idée très claire de ce qu’il veut faire à la suite de l’X. Le retour à Dakar après ses études est une évidence pour lui.

A droite de Samba, vous avez Louis Diouf, étudiant également en 2ème année du cycle d’ingénieur à X. Élève à Notre Dame de Dakar, il a obtenu son BAC S1 avec une mention AB en 2011. Après une licence en Mathématiques à l’université Pierre et Marie Curie de Paris, il réussit aux concours d’entrée aux grandes écoles et finit par choisir X pour le haut niveau d’enseignement en Mathématiques qu’il allait y retrouver. S’il est sûr de sa spécialisation en mathématiques appliquées l’année prochaine, il attend les opportunités qui se présenteront à lui pour faire le choix d’une poursuite d’études (une thèse), se lancer dans l’entrepreneuriat, ou alors intégrer directement une entreprise. Pertinent dans ses réponses et analyses, timide mais très curieux, Louis rêve qu’il y ait de plus en plus de jeunes Sénégalais dans les filières scientifiques, des professeurs qui puissent faire de la recherche et qui publient régulièrement. Le retour au bercail est également une évidence pour lui, mais cela passera forcément par une acquisition préalable d’expériences.

A droite de l’homme qui ne veut plus me parler, vous avez Serigne Seye. Lauréat au concours général en maths-physique en 2011, il décroche son bac S1 avec une mention Bien et intègre ensuite une prépa en physique à Aix en Provence. Comme ses camarades Samba et Louis, Serigne a également passé tous les concours d’entrée aux grandes écoles et choisit X pour sa première place dans le classement des meilleures écoles d’ingénieurs en France et pour la forte présence du sport dans le cursus qu’ils proposent. En effet, pour ce passionné de sport et en l’occurrence de basket, ces 6h d’activités sportives par semaine, ces dizaines de disciplines sportives et ces championnats universitaires de haut niveau, en plus d’une formation scientifique de pointe, l’ont motivé à faire son choix sur cette école d’élite. J’ai été marquée par son humilité débordante, limite énervante. Fin, pertinent et assoiffé de savoir, Serigne débutera un master de recherche en électricité  l’année prochaine à Polytechnique Montréal. Tous ses projets sont tournés vers l’Afrique mais cela passera d’abord par une acquisition d’expériences via les différentes opportunités qui se présenteront à lui. L’expérience justement, il y tient tout comme son camarade Louis.

« Si nous avons plus de parents qui encouragent et accompagnent leurs filles comme on pourrait le constater ici avec les parents de nos camarades français, nous noterons une forte présence féminine dans les filières scientifiques. Et bien sûr, nous devons intensifier les campagnes de sensibilisation pour qu’il y ait plus de filles dans les séries scientifiques. » Ndeye Fatou Diop

Le meilleur pour la fin : à la droite de Serigne, vous avez Ndeye Fatou Diop. Mais qu’elle est belle! Ceux qui me lisent sauront que je suis sensible à ce teint noir brillant, ces dents de lait et ces cheveux crépus assumés. Bachelière S1 au Lycée Seydou Nourou Tall de Dakar, Ndeye Fatou faisait partie de cette génération qui a passé l’examen du baccalauréat en août 2012. Le concours général n’a pas eu lieu cette année et le Sénégal venait d’éviter de justesse une seconde année blanche après celle de 1988. Après une année tumultueuse, elle intègre sa prépa Henri-Poincaré de Nancy en retard, en fin Septembre. Deux ans plus tard, elle réussit les concours d’entrée à certaines grandes écoles et choisit naturellement Polytechnique Paris pour son excellence, son prestige et sa réputation. Etant l’une des rares filles Sénégalaises à intégrer X, elle en est plutôt triste qu’autre chose : “en plus, il n y a aucune raison qu’il y ait moins de filles à Polytechnique Aminata” me dit-elle avec une pointe d’amertume dans la voix. Ndeye Fatou pense fortement que les parents peuvent changer la donne sur ce point. “Si nous avons plus de parents qui encouragent et accompagnent leurs filles comme on pourrait le constater ici avec les parents de nos camarades français, nous noterons une forte présence féminine dans les filières scientifiques. Et bien sûr, nous devons intensifier les campagnes de sensibilisation pour qu’il y ait plus de filles dans les séries scientifiques”, argumente-t-elle, confiante. Pour la suite à l’X, elle s’aligne sur la même démarche que Serigne et Louis. Ndeye Fatou attend de voir les opportunités qui s’offrent à elle pour se lancer soit dans une thèse, soit dans l’entrepreneuriat au Sénégal soit tout simplement intégrer une grande firme. Positivité, réalisme et détermination animent cette jeune fille pleine de projets pour le Sénégal.

Fatou Bintou Diémé, Mouhamed Dramé, Abdou Coura Ndiaye et Papa Séga Wade ne sont pas sur cette photo mais sont également polytechniciens en première année. Ils seront rejoints l’année prochaine par les 5 Sénégalais qui ont réussi le concours d’entrée à l’X (indiqués dans le post Facebook en début d’article).

Une formation d’excellence dans un cadre exceptionnel

Au delà des raisons qui les ont poussé à choisir Polytechnique Paris, Samba, Louis, Serigne et Ndeye Fatou confirment la qualité de leur formation. X leur délivre une forte culture scientifique générale, une formation humaine et militaire et ce, dans un cadre et contexte stimulant la créativité et le leadership. Ils ont le choix de suivre un cycle master ou doctoral et sont très ouverts à l’international. De plus, tout au long de leur cycle d’ingénieurs polytechniciens, ils sont en contact régulier avec le monde de l’entreprise, à travers des rencontres avec des représentants d’entreprises, des visites et des stages en entreprise ainsi que des projets scientifiques. Tous les quatre sont actuellement en stage de découverte ou de fin d’études dans les entreprises du CAC 40 et maîtrisent parfaitement les enjeux de ces entreprises ainsi que les technologies qui résolvent leurs problématiques. J’ai été subjuguée d’entendre Samba et Ndeye Fatou me parler des nouvelles technologies du moment avec passion, à l’instar de data science et de blockchain. Non seulement ils en parlent avec fougue, mais ils ont une idée très précise des cas d’usages sur lesquels ces technologies peuvent s’appliquer en Afrique et particulièrement au Sénégal.

Un manque criard d’informations sur les études supérieures à l’étranger

Pour un pays qui envoie plus de 8000 étudiants chaque année à l’étranger, il y a encore une forte méconnaissance des filières qui leur sont accessibles en sciences comme dans les autres domaines (des associations d’étudiants y travaillent). Ma génération a connu les grandes écoles d’ingénieurs françaises et les moyens d’y accéder une fois sur place en première année d’études. En échangeant avec Louis, Serigne, Samba et Ndeye Fatou, je me suis rendue compte qu’il y a encore des efforts à faire au niveau de la communication. A l’exception de Ndeye Fatou qui connaissait Polytechnique Paris depuis toute petite par l’intermédiaire de son père qui a effectué ses études en France, les autres l’ont découvert sur le tas, via leurs professeurs, leurs camarades de promo ou l’administration de leur école. On retrouve également ce manque d’informations au niveau des parents. S’ils sont tous heureux et fiers d’avoir des enfants lauréats au concours général, ils ne réalisent pas trop quand ces derniers intègrent les filières d’excellence à l’étranger. Normal, ils ne les connaissent pas. Des parents et des élèves informés au mieux déboucheront sur l’intégration des filières d’excellence et un meilleur accompagnement de l’étudiant.

Une campagne de sensibilisation pour l’intégration des Sénégalais dans les grandes écoles

Si c’est possible pour nous, c’est possible pour ces autres brillants restés à Dakar et qui manquent d’informations sur les études supérieures ailleurs qu’au Sénégal

Depuis Mai 2015, Polytechnique Paris a ouvert un centre d’examen à Dakar, donnant ainsi la possibilité aux étudiants Sénégalais de passer le concours d’entrée à l’X dans leur pays d’origine. C’est le 15ème centre d’examen dans le monde mis en place par l’X et le premier en Afrique Subsaharienne. Une autre preuve de l’excellence sénégalaise dans les études supérieures à l’étranger. Dans le même sens en novembre 2015, Louis, Samba, Serigne et Ndeye Fatou ont eu l’idée de partir à Dakar pour informer leurs compatriotes sur les possibilités qu’ils peuvent avoir en intégrant Polytechnique Paris mais aussi les autres grandes écoles. Ils ont cette ferme conviction que si c’est possible pour eux, c’est possible pour ces autres esprits brillants restés à Dakar et qui manquent d’informations sur les études supérieures ailleurs qu’au Sénégal. Ils ont été soutenus par le gouvernement du Sénégal et par Polytechnique Paris qui les a justement accompagné tout au long de cette campagne. Ils retourneront à Dakar à l’automne prochain avec cette envie de mieux faire. L’année dernière, ils avaient réuni les 10 meilleures élèves des meilleurs lycées du Sénégal dans une petite salle aux maristes et rencontré les étudiants de l’UCAD et de L’UGBS. Cette fois-ci, ils espèrent avoir un amphi et accueillir le maximum de lycéens et d’étudiants. Ils attendent également une plus grande réactivité de l’administration des lycées et FAC.

Des ambassadeurs du Sénégal conscients de leurs rôles

C’est grâce à leurs efforts qu’ils ont pu accéder à cette formation de qualité, ce cadre propice aux études d’excellence et à l’entrepreneuriat. Mais ils n’oublient pas l’effort du Sénégal pour les mettre dans de bonnes conditions. C’est avec fierté qu’ils affirment être des ambassadeurs du Sénégal dans un corps d’élite à l’étranger. C’est avec fierté qu’ils vous rappellent cet engagement qu’ils ont signé avec le Sénégal consistant à rentrer servir le pays lorsque celui-ci en fera la demande. Ils sont fiers d’obtenir cette bourse d’excellence du gouvernement leur permettant de se concentrer exclusivement à leurs études. Et avec tout cela, c’est légitime de se demander : est-ce qu’ils rentrent au pays au final ? Les Sénégalais sortis de Polytechnique Paris sont partout à travers le monde. Ils sont à Londres, Paris, New York, Washington, Singapour mais aussi en Afrique au Sénégal et dans la sous région. Bien sûr qu’ils rentrent. Ils sont dirigeants de grandes entreprises, instances et branches à Dakar. Ils s’engagent dans la politique, exercent dans la fonction publique et dans les entreprises privées. Et justement, mon prochain billet sur les Sénégalais formés à Polytechnique Paris sera consacré à ces anciens de l’X : que sont-ils devenus?

Aminata THIOR


L’entre deux cultures : « Allo, il est mort »

Le week-end dernier, un de mes fidèles lecteurs résidant en France, a perdu son père au Sénégal. Je profitais du soleil et admirais une magnifique table de brunch lorsque j’ai appris la nouvelle. L’instant d’après, je n’ai vu que du noir et ressenti que de l’amertume après avoir lu cette triste annonce. Je reconnais à la mort, ce don de vous ramener les pieds sur terre.

Je ne sais pas pour vous mais pour ma part, à chaque fois qu’on m’annonce le décès d’un proche, les questions se bousculent dans ma tête. Le défunt avait quel âge ? Comment est-il décédé ? Où ? Dans quelles conditions ? A-t-il dit quelque chose avant de s’en aller… ? Evidemment, excepté son âge, j’ai rarement la réponse à mes autres questions. Et le décès du père de mon ami m’a plongé dans un profond questionnement. Dans ces interrogations et ces peurs qui surviennent quand il y a ce genre de rappel à Dieu, je me suis demandée : comment il l’a su ? Par téléphone ? Via Viber ou Whatsapp ? Qui lui annoncé cette nouvelle ? Le frère ? La soeur ? La maman ? Et lui, comment il a réagi ? Qu’est-ce qu’il a ressenti ? Qu’est-ce qu’il a fait ?

la mort-leregardeminatag.mondoblog.org

Je me suis posée toutes ces questions parce que mon ami est loin. Parce que je suis loin. Parce que nous sommes nombreux à vivre loin des nôtres et que nous redoutons tous ce fameux texto, ce tardif appel viber/whatsapp, cet étrange coup de fil. Inévitablement, on se demande : et si c’était nous ? J’avais le cœur en miettes et les yeux brouillés par mes larmes quand j’implorais le juge d’en haut de garder encore Papa avec moi. Je lui ai rappelé que nous avons encore pleins de sujets sur lesquels nous devons débattre. Que la pile de livres que nous n’avons pas encore lus et critiqués atteindra bientôt le plafond de mon salon. Et pour Mum alors, j’ai rappelé à l’omniscient que je n’ai pas encore terminé ma dernière discussion avec elle. Nous avons encore des courses et des voyages à faire ensemble. Et qu’en est-il de ces sujets brûlants jamais abordés avec elle ? Elle ne sait même pas que j’ai failli être violée par le cousin, son préféré. Elle n’a pas idée que je lui en ai quand même voulu de pas avoir pris le temps de m’expliquer la présence de ce liquide rouge qui tâchait mes sous vêtements. Et enfin j’ai dit à l’omnipotent de me laisser encore papa et mum. Je ne leur ai pas suffisamment touché et je n’ai pas encore tenu mes promesses envers eux : je ne suis toujours pas cette jeune femme douce, diplomate et moins franche. Je continue de faire des dégâts avec ces mots qui sortent de ma bouche sans filtre. Ça prendra du temps, j’y travaille et il faut qu’ils voient le fruit de ce travail.

Quand j’en avais fini de transposer la douleur de mon ami à la perte de mes parents, j’ai tout de suite pensé à certaines femmes mariées de la Diaspora (pas toutes). A ces copines, amies et connaissances qui n’ont pas l’occasion de passer du temps avec leurs parents lors de leur séjour dans leur pays d’origine. Cette tradition, cette culture et cette pression sociale qui leur imposent à passer quasiment toutes leurs courtes vacances chez les beaux-parents les déciment à petit feu. J’en parlais déjà dans ce billet ici.

femme 2Ce que cette pression sociale ne prend pas en compte, c’est le besoin de ces femmes de retrouver des parents qui se sont sacrifiés pour elles. Des petits frères et sœurs admiratifs du parcours de la grande. Une maison familiale et une chambre d’enfance puantes de souvenirs. Ce qu’elle ne veut pas voir cette mégère de pression, c’est que pour rendre visite à leurs propres parents, ces femmes de la Diaspora ont besoin de planifier cela des mois à l’avance, parfois même des années. Et sans oublier bien sûr, les quelques milliers d’euros pour le prix du transport. Oui, car elles n’ont pas cette possibilité d’aller à la maison familiale tous les 15 jours, un mets succulent à bord de la voiture personnelle ou du taxi. Ce qu’elles ignorent surtout, les dames tradition, culture & pression sociale, c’est cette immense frustration avec laquelle ces malheureuses retournent en Occident sans ce sentiment d’avoir profité de leur famille. Je ne vous parle même pas de leurs profonds regrets lorsque la voix au téléphone leur lâchera la phrase : ” Papa est parti”. “Maman nous a quitté”. “Petit frère est parti trop jeune”.

Et je ne pourrais terminer ce billet sans vous rappeler, chères femmes (toi qui te sens concernée par cette pression sociale), que le jour où vos parents quitteront ce monde, personne ne ressentira votre peine. Le jour où vous même ne serez plus de ce monde, personne ne pourra ressentir leur douleur et tristesse. Alors partant de ce principe, passez le maximum de temps avec les vôtres. Cela ne vous empêchera en aucun cas de profiter de votre belle famille. A votre mari qui ne vous soutiendrait pas ou ne vous comprendrait pas, rappelez lui, le bonheur qu’il a de tourner la tête et de tomber sur les yeux de papa et maman. Dîtes lui que vous voulez la même chose. Que vous avez besoin de la même chose, que cela vous est vital.

Que le décideur là-haut nous donne la force de supporter l’arrivée de cet appel : “Allo, il est mort”.

Aminata THIOR


Sénégal : mon top 6 d’entrepreneurs à suivre (2/2)

Depuis 2014, je les lis, regarde, écoute et quelques rares fois, j’ai parlé avec certains d’entre eux. Ils vivent entre l’Occident et L’Afrique pour la plupart. Si ce n’est pas leur beauté physique et leur humilité, c’est leur passion et la valeur de leurs propositions qui m’ont attirée chez eux.

Un de mes souhaits serait qu’ils soient plus visibles et plus connus qu’ils ne le sont déjà. J’ai envie de voir leurs belles gueules dans les grands magazines et journaux du monde ou encore, les voir très souvent à la télé partager leurs expériences, et donc inspirer & motiver des jeunes. Ce dont j’ai réellement peur, c’est qu’ils soient propulsés par Mr Dupond d’abord pour qu’enfin le Sénégal puisse reconnaître leur valeur. Pour m’éviter cet affront personnel pour ma part, je parle d’eux ici dans mon petit blog de rien du tout.

Mariama Touré, Journaliste & fondatrice de The Dance Hall

Mariama  a créé le premier centre de danses urbaines au Sénégal, The Dance Hall. Elle fut une de mes découvertes coups de cœur en 2014, lorsque je cherchais à faire un article sur les 30 meilleurs entrepreneurs du Sénégal. Papier que j’ai finalement laissé tomber pour me consacrer à un documentaire sur le retour des étudiants sénégalais au pays après leurs études en Occident. Et évidemment, elle faisait partie des 7 profils que j’avais choisis pour ce projet.

Mariama Touré

J’ai aimé cette raison qui l’a poussée à créer ce centre de danses urbaines. 3 ans après son retour au pays, elle avait cette envie de pratiquer une de ses nombreuses passions : la danse. Sauf qu’à l’époque, elle ne trouvait aucune structure à Dakar qui proposait des cours de danse. Alors elle a créé The Dance Hall. Non seulement elle a répondu à son propre besoin mais à celui de toutes ces personnes passionnées de danse qui ne trouvaient pas ce service à Dakar. L’autre point qui m’a marqué sur son parcours était sa capacité à convaincre sur un projet de danse quand on sait que ce mot n’est pas pris au sérieux au Sénégal. Le système LMD, Lutte Musique Danse, oblige. Et elle y est arrivée. Son projet marche. Elle reçoit des danseurs de renommée internationale. Elle a fait une excellente vidéo (A-Z)  sur les danses africaines qui a fait plus d’un million de vues sur Youtube. L’idée est originale. L’année dernière, elle avait reçu le prix surprise au Forum Mondial de la Langue Française de Liège. Elle crée des emplois et fait rayonner le Sénégal à l’international à travers nos danses africaines.

Mariama Touré a réussi un sacré défi à mon avis. Celui de démontrer la pertinence de son projet de Centre de Danse dans un environnement très récitent à ce domaine. C’est un exemple pour tous ceux qui hésiteraient à se lancer dans une activité qu’on pourrait qualifier de futile au Sénégal. Mais il faudra de la rigueur, du professionnalisme et de la passion. Ce sont ces 3 mots que je garde d’elle. Je lui souhaite de rencontrer un investisseur qui aura de la vision.

Boubacar Sagna, PDG de Yenni, diplômé en relations internationales

Boubacar

C’est par l’intermédiaire d’amis que j’ai entendu parlé de ce chef d’entreprise passionné et passionnant. Chargé de projets au service des relations internationales de Toulouse pendant 4 ans, Boubacar était responsable de la coopération entre Toulouse et Saint-Louis du Sénégal dans le domaine de la transformation des produits halieutiques avec la mise en œuvre de séchoirs solaires. Cet homme de 34 ans a une connaissance quasi parfaite du Sénégal et du monde de l’entrepreneuriat. J’ai envie de le voir et de l’entendre partout dans les médias sénégalais pour qu’il partage cette expérience de la coopération entre Toulouse et Saint-Louis. Combien il gagnait à la mairie de Toulouse? Comment il distribuait cet argent autour de lui ? Comment il aidait les femmes de Saint-Louis à utiliser les séchoirs solaires pour produire du kéthiakh (du poisson séché) afin de les vendre à l’international ? Que sont devenus ces séchoirs solaires après son départ de Saint-Louis ? Quelles sont les leçons qu’il a tirées de cette expérience ? Les réponses à ces questions sont autant d’anecdotes qui pourraient inspirer plus d’un jeune Africain. Quand je vous dis qu’il est passionné et passionnant, il ne s’agit pas que de mots.

En 2013, avec un ami, Boubacar crée Yenni (mot wolof qui signifie “décharger quelqu’un de …”) . Cette société propose des cartes prépayées rechargeables offrant aux Sénégalais du pays et de la diaspora un moyen de paiement sécurisé de leurs frais médicaux. Le besoin est là, dans un pays où près de 80% de la population n’ont pas accès à la couverture maladie (selon l’OMS). L’offre est séduisante et adaptée aux réalités du Sénégal :  le Sénégalais qui recharge une carte Yenni est sûr et certain que l’argent sera dépensé pour les frais médicaux de ses proches (et non pour du xawaré) et de l’autre côté, le professionnel de santé a l’assurance d’être payé (finies les pièces d’identité laissées comme gages dans les hôpitaux).

La valeur de la proposition de Yenni, l’esprit combatif de Boubacar font que je n’ai aucun doute sur la réussite imminente de ce projet. Comme presque tous les autres entrepreneurs que je vous présente ici, j’ai encore cette impression que Yenni rayonne plus à l’international qu’au Sénégal. J’irai à sa découverte dans les prochains mois.

Assane Mbengue, Ingénieur Informatique & co-fondateur de Carrapide

Il y a quelques années, dans leurs chambres universitaires, Assane et ses amis ont créé Yama Télé, un site Internet qui permet de regarder des pièces de théâtre sénégalaises en ligne. Les nostalgiques de l’époque de la bonne production théâtrale sénégalaise y ont trouvé leur compte. L’idée est bonne et en a séduit plus d’un. Avec ses associés, ils se sont ensuite lancés sur un site d’informations en ligne. Puis sur un site d’informations dédié aux femmes, Jongoma (qui a aujourd’hui disparu). Puis sur le développement d’applications mobiles (l’application Talibi est une révolution au Sénégal). Puis dans la production de téléfilms (c’est lui derrière la série Mok Poth).

Assane

Vous l’avez compris, Assane est une véritable machine “à faire”. Aujourd’hui, tous ses sites et applications sont regroupés dans Carrapide. Il est rentré au Sénégal depuis plus de 3 ans et dirige une entreprise avec une grande équipe derrière. Il crée des emplois au Sénégal. C’est un de ces Sénégalais qui a renoncé à son confort de salarié dans une entreprise du CAC 40 pour se consacrer à sa passion.

L’ayant côtoyé et ayant beaucoup discuté avec lui, j’ai découvert un homme brillant. Très capitaliste et pragmatique. Il a des tonnes d’idées à réaliser et il n’oublie jamais ce côté business. C’est un technique et l’un de ses points faibles est la communication. Assane Mbengue est un sacré entrepreneur et businessman. Il a un flair sur les projets qui peuvent marcher. Il investit, crée et conseille (sans être écouté). C’est un futur Cheikh Amar ou Bara Mboup. Je prends le pari.

Aissatou Sène, créatrice de Belya

Mariétou SèneComme Mariama Touré, j’ai découvert ce nom Belya pendant ma recherche de 30 entrepreneurs au Sénégal. Avant son projet, c’est sa beauté physique qui m’a attirée. Oui ces dents de lait, ce teint noir, ces cheveux crépus assumés et cette apparence sexy m’ont poussé à aller voir sa proposition.

Elle s’appelle Aissatou Sène. Elle a créé Belya, sa marque de vêtements, chaussures et accessoires faits à base du tissu Africain, le wax. Aissatou a commencé à faire des colliers, puis des vêtements. Ensuite elle a lancé sa page Facebook et son aventure a débuté comme cela. Elle s’est diversifiée avec la proposition de sacs à mains, porte-monnaies, chaussures, le tout en wax bien sûr. Elle travaille principalement avec des artisans locaux Sénégalais et parfois avec des Marocains.

J’aime ses produits. C’est à la fois fin et élégant. J’étais triste de la lire dans un article où elle disait que sa clientèle est plus étrangère que Sénégalaise. Effectivement, elle rayonne à l’étranger. On le voit bien à ses travers ses publications sur Instagram. Dans mes recherches, j’ai également constaté que la presse étrangère s’intéressait plus à elle que la presse locale. J’irai également à sa découverte dans les mois à venir.
Nous assistons à un boom de la mode wax et c’est une pionnière dans le domaine.  Elle est clairement à suivre et encourager.

Ibuka Ndjoli Ecrivain, fondateur de Kusoma Group

J’ai découvert Ibuka par le billet de partages et likes de ses posts par mes amis sur Facebook. Ses publications étaient souvent longues mais la simplicité et la pertinence de ses écrits faisaient que je les lisais jusqu’au bout. Cela m’a poussé à consulter mon pote Google pour me renseigner davantage sur lui : j’ai découvert un social Entrepreneur.

Ibuka

Ibuka est un écrivain, un passionné des TIC et fondateur de Kusoma Group, sa 3ème startup. Tout commence en 2012. Il lance Da Promoter Agency, une structure qui promeut les talents et entrepreneuriat des jeunes Africains. Ensuite en 2013, l’agence Les littérateurs voit le jour. Son objectif était d’accompagner les auteurs dans le processus d’écriture et de publication de leurs œuvres. Et dernièrement, il a lancé Kusoma, cette plateforme web et mobile qui propose aux lecteurs des livres numériques et aux auteurs africains, la possibilité de publier leurs bouquins sans passer aux Editions Kusoma.

J’aime ses publications sur l’estime de soi, l’entrepreneuriat ou les opportunités en Afrique. Il a une vraie culture entrepreneuriale et un sens du partage. Vous verrez sur son mur et page Facebook une forte interaction avec sa communauté. Il y partage ses projets d’écriture de livres, y demande des avis et conseils et en donne également en retour. J’ai particulièrement aimé son recueil de témoignages sur sept jeunes femmes Africaines qui ont osé l’entrepreneuriat. Il évolue dans un secteur prometteur. Il y a cette nouvelle génération qui écrit de plus en plus et qui ne demande qu’à être publiée. Lui offre la solution avec les outils du numérique. J’y vois un fort succès dans les années à venir.

Cheikhna Sarr, PDG Absar consulting et fondateur de sunuboncoin

CheikhnaJ’ai découvert cet ingénieur en mécatronique il y a quelques mois quand je travaillais sur un article destiné au Magazine Le Soleil Diaspora. Le papier traitait le sujet des entrepreneurs Sénégalais vivant en Occident”.

Cheikhna a lancé avec un associé, la société ABSAR Consulting, une entreprise qui vise à créer des centres techniques au Sénégal pour permettre d’externaliser des projets technologiques des sociétés européennes. Je précise que ce marché est jusqu’ici dominé par les Chinois au Sénégal. En parallèle, il a créé la plateforme e-commerce sunuboncoin, le site en ligne qui permet aux Sénégalais de commander tout type de produit sur Internet. Aujourd’hui, il partage sa vie entre Dakar, Saint-Louis et Paris, où il développe ses différentes activités.

A travers différents échanges avec Cheikhna et en suivant son activité de très près sur les réseaux sociaux,  j’ai découvert un entrepreneur passionné et bosseur. Il partage naturellement ses objectifs, sa vision, sa méthode de travail. En discutant avec lui, on ne peut s’empêcher de sentir sa fierté de servir les Saint-Louisiens et de créer des emplois au Sénégal. Pour ma part, son immense positivité, son humilité débordante et ce côté travailleur acharné m’ont assurément marquée. Ses entreprises sont à découvrir. Je suis particulièrement séduite par sunuboncoin et visualise aisément sa fulgurante croissance dans les années à venir, dans le domaine du e-commerce au Sénégal.

Aminata THIOR


Mon top 6 d’entrepreneurs à suivre (1/2)

Je ne peux pas vous présenter mon top 6 d’entrepreneurs à suivre sans vous raconter l’histoire qui m’a submergé quand j’ai pensé à écrire ce billet. Comme titre, j’allais opter pour “Ces entrepreneurs qui m’inspirent” quand je me suis surprise à me réprimander sur ce choix.

J’ai développé tout un argumentaire dans ma tête pour me rappeler que ce titre n’était pas adéquat et que la raison était simple : le seul entrepreneur qui m’inspire sur cette terre est ma mère. Ah, je vois vos têtes d’ici. Je vous entends me traiter de ringarde. Je lis votre déception depuis la table de café parisienne où je souris bêtement quand je vois un rare rayon de soleil taper sur mon carnet de note. Mais ne soyez pas déçus, ce n’est pas un cliché. Quand la mode “Entrepreneuriat” est apparue ces dernières années avec son lot de dérivés, qui vous donne les 5 qualités d’un entrepreneur à avoir ou qui vous informe sur les 5 habitudes des entrepreneurs qui réussissent ou qui vous divulgue les secrets des entrepreneurs qui ont réussi, Mum est apparue comme une évidence pour moi.

Femme sénégalaise

Dans les années 2000, elle s’était lancée dans le commerce. Activité exercée par quelques rares personnes à l’époque et qui a connu un boom au Sénégal ces dernières années. Avec un capital initial de 100 000 FCFA (152€), elle vendait de petites montres et des sacs à mains à ses copines. Mais toute cette vente était faite en cachette, car son petit mari était contre cette activité. Ce dernier avançait cet argument qui avait ce don de réveiller le petit volcan qui sommeillait chez la petite fille que j’étais : “tu n’as pas besoin de travailler”. Mum non plus n’aimait pas cette affirmation. Elle a convoqué tous les membres de la famille pour convaincre son homme. Aucun résultat. Le mari est têtu. Les meilleurs amis sont passés à la maison, les arguments pleins la bouche pour persuader le copain borné. Rien n’y fit. Alors elle décida de jouer sur sa fibre religieuse. Popopopopopo! Error Mum! « Si ma famille et mes amis n’ont pas réussi à me convaincre, ce n’est pas une bande de vieux avec de longs chapelets et des cheveux gris qui y feront quelque chose”, avait rétorqué le petit mari. Ce papa baobab, je l’aime et le déteste à la fois. Et sur cette réplique avec les prieurs assidus, qu’est-ce que je l’ai “kiffé”!

Puis les jours, les semaines et les mois passèrent. Elle continuait son commerce, toujours en cachette, avec la complicité de mon frère et moi. Quand elle rentrait tard de ses livraisons de marchandises et que cela coïncidait avec un coup de fil du petit mari, on disait qu’elle avait raccompagné un parent. Ou alors, qu’elle prenait sa douche. Ou encore, qu’elle priait! J’écris ces mots et j’ai l’impression de raconter une histoire qui date du siècle dernier. Bref! Le temps passait et presque tous les week-ends, les clientes de Mum passaient à la maison pour soit payer la marchandise due, soit pour demander la date du prochain arrivage d’accessoires. Inévitablement, ces visites étaient les causes de disputes entre les adolescents de 40 ans qu’ils étaient. Il y avait aussi des moments où Mum promettait de tout arrêter. Tu parles!

Elle n’a jamais arrêté le commerce. Elle voulait être financièrement indépendante et le commerce la passionnait. Elle en avait la fibre. Son désir d’indépendance et sa passion pour cette occupation étaient plus forts que le refus du petit mari. Très vite, les carnets de commande ont commencé à remplir les tiroirs de la cuisine. Les allées et venues  des clientes à la maison se poursuivaient, s’accentuaient et agaçaient même l’aide ménagère de Mum. Cette dernière ne se séparait plus de cette grosse calculatrice grise avec de gros boutons où on voyait de loin s’afficher de multiples zéros. Telle une geek avec son ordinateur, elle ne quittait jamais cette machine. On la trouvait toujours à côté d’elle, près de son tapis de prière, parfois entre deux assiettes et très souvent sous son oreiller… Et puis cela sautait aux yeux qu’elle s’épanouissait. Les gamins que nous étions n’avions noté aucun changement entre Mum avec ou sans activité professionnelle. Elle était une lionne dans la tenue de la maison et une lionne dans la gestion de son commerce. Il y eut des périodes creuses où nous pensions que c’était fini, que l’envie de se lancer dans le commerce n’était que passagère, éphémère. Que nenni! J’ai compris plus tard que ces périodes étaient dures parce que les clients ne respectaient pas leurs engagements.

Avec l’obstination de Mum et sa constance dans la durée, nous avons assisté  à l’érosion du NON de petit mari. Son homme a finalement accepté et surtout compris qu’il ne pourrait jamais l’empêcher de travailler. Avec ou sans son accord, elle ferait du commerce. Aujourd’hui, il assure la réception de la marchandise au Port Autonome de Dakar et livre les produits chez certains clients. Très souvent, il se transforme en chauffeur pour Mum, lorsque cette dernière doit rencontrer ses fidèles acheteurs. Aujourd’hui encore, c’est le premier testeur de tous les produits hommes de Mum et assure leurs ventes auprès de ses amis et collègues de la gente masculine.

En ma mère, j’ai vu une Entrepreneure. Une passionnée. Une motivée. Une persévérante. Une obstinée. Elle est tombée plusieurs fois (ses moments de discorde avec sa moitié, ses chiffres négatifs sur la calculatrice grise, etc..) mais elle se relevait toutes ces fois pour continuer son activité. Elle était convaincue et elle l’a convaincu. Par les actions. La vision. L’envie. La tenacité. N’est-ce pas qu’il en faut pour être un bon entrepreneur?

La capture d’écran de l’histoire de Mum et de petit mari me fait penser aujourd’hui à tous ces entrepreneurs passionnés par leurs projets mais bloqués par un banquier ou un entourage ou un investisseur frileux. Elle me fait également penser à toutes ces portes fermées à l’entrepreneur au début de son aventure et à toutes celles qui s’ouvrent à lui à force d’acharnement et de persévérance. Nous en avons des exemples qui pullulent sur la toile.

J’avais besoin de raconter cette histoire pour laisser des traces écrites à mes petits frères qui n’ont pas connu cette période. J’avais besoin de partager cette histoire pour rappeler que n’avons pas forcément besoin des secrets de Bill Gates, Marc Zukerberg ou Youssou Ndour pour être un bon entrepreneur ou pour réussir. Certes, elles ne pas sont célèbres mais nos mères Africaines sont les premières entrepreneures (riches ou pas) et bien meilleurs modèles qu’on ne le pense. Elles s’y sont mises avant que ce mot “Entrepreneur” soit aussi sexy, beau et prisé par tous. Les qualités et secrets que nous cherchons ailleurs, chez les autres, sont sous notre nez. Il suffit de lever la tête sur notre entourage proche. Maintenant, vous savez pourquoi je ne peux pas donner ce titre “ces entrepreneurs qui m’inspirent” à ce billet. Mum est incontestablement celle qui m’inspire le plus quand on me parle entrepreneuriat.

J’ai donc opté pour le nullissime et générique titre “Mon Top 6 d’entrepreneurs à suivre”. Mais attention, ils sont inspirants. Ils font rayonner le Sénégal et le feront davantage avec notre implication et reconnaissance. Allez venez, je vous les présente, à ma manière, ici.

Aminata THIOR


Terrible soirée de ramadan devant la télé …

En cette soirée de ramadan, 00h22 quelque part dans le globe, le ventre plein, le corps pesant et las, je peste sur les courtes soirées où je ne peux rien faire d’autre que manger et dormir. Puis, on décide quand même de s’affaler sur le canapé, télécommande à la main. On zappe. La météo sur la première chaine : bon, demain, pas de lunettes de soleil. Daech sur la chaine suivante : ah non, pas eux, mes oreilles ne les supportent plus. On avance, on avance et on arrive sur le canal 452, la chaîne la plus regardée au Sénégal. Et là, débute une heure de profonde frustration.

J'étais aussi bien que le miaou sur son canap
J’étais aussi bien que le minou sur son canap

Je tombe sur une émission qui m’est inconnue et un gros plan sur le sourire de l’animateur. Ça détend. Au moment d’appuyer sur la télécommande pour zapper, j’entends le mot Innovation. Ce terme attise ma curiosité et je reste pour savoir de quelle innovation parle-t-on. Il s’agissait de l’innovation de l’émission. Une vue en 360 degrés du plateau me fait douter de ma compréhension du mot innovation. J’ai vu le même décor que dans les classiques émissions de cette télé. Les mêmes personnes qu’on retrouve dans d’autres émissions de la même chaîne. Les mêmes rubriques présentes dans leurs autres émissions : cuisine, météo, revue de presse, religion… Et je me suis résolue à dire que nous n’avions pas la même définition ou compréhension de l’innovation dans le domaine des médias en 2016. J’ai oublié de vous parler des invités. C’était les mêmes. Ces célébrités qu’on accueille toujours à bras ouvert sur les plateaux de télé.

Je râle et tout d’un coup j’entends l’animateur qui demande à son invité imam de prendre la personne au téléphone. Mon hein fit sursauter mon compagnon d’infortune. Mais qu’est-ce qu’il y a ? me lança-t-il, surpris. Je lui répondis tout en faisant le tour du salon en sursautant comme un athlète qui s’échauffe, le bras droit tendu en direction de la télé. Mais non, mais non. Ils n’ont pas le droit de faire ça. Ils ne peuvent pas faire ça. Ce n’est pas possible. Ce n’est plus possible. Ils ne peuvent pas me parler d’innovation et continuer de dire “dieuleul ki tchi ligne bi”, prends la personne en ligne. Mais non, c’est ringard ça. Nous ne sommes pas à la radio, voyons. J’ai eu comme seule réponse un bruyant éclat de rire. Énervée, je m’empare de mon Smartphone pour crier mon désarroi. Je tweete. Comme si cela allait me calmer. Pas du tout. Je venais juste d’écrire quelques 110 lettres qui allaient atterrir dans l’océan de contenus des réseaux sociaux.

Je finis mon tweet, lève la tête et vois l’imam qui exécute cette ringarde pratique : “prendre le coup de fil”. C’était une jeune dame. Avec une voix douce, aiguë et basse à la fois, elle se présente. C’est une cadre qui vit et travaille à Saint-Louis. Ses parents vivent à Dakar. Son souci est qu’elle ressent de la haine, de l’amertume envers son père. Malgré le fait qu’elle s’occupe de lui financièrement ou matériellement, elle ne peut pas lui parler. Elle ne peut pas s’ouvrir à lui. Elle n’a pas d’amour pour son père. A la question « pourquoi ? », elle répond que son patriarche n’a pas pris soin d’eux quand ils étaient gosses. Qu’il a fait des “choses” regrettables à leur mère. Ce qui fait qu’aujourd’hui elle se sent mal. Et elle demande à l’imam : qu’est-ce que je dois faire pour enlever cette rancœur envers mon père ?

Bien sûr, l’imam lui rappelle que c’est à elle de faire ce qu’il faut pour que tout s’arrange. Il lui donna une, deux idées pour aller rencontrer ce père et lui demander pardon. Comme pour appuyer ses dires, il récite quelques versets du Coran qui stipulent les devoirs de l’enfant envers ses parents. Bien sûr qu’il lui rappelle l’histoire de l’œuf et de la pierre. Cette histoire où l’enfant est l’œuf et le parent,  la pierre. L’œuf sera toujours perdant lorsqu’il tombera sur la pierre ou lorsque celle-ci tombera sur lui. En choeur, tous les animateurs, chroniqueurs présents sur le plateau abondent dans le même sens : tu dois faire le nécessaire pour avoir le pardon de ton père. La dernière animatrice qui a pris la pris parole sur le sujet, lui a lancé sur un ton de défi et d’émotion : ayyy sou guéné adouna té balouwouloko, « si jamais tu ne fais pas le nécessaire avant qu’il ne soit plus de ce monde”. Et puis elle a raccroché. Et là je m’entends crier “Non, non non, non, ne la laissez pas partir comme cela”. Dîtes-lui que vous la comprenez. Dîtes-lui que c’est normal d’avoir ce ressenti dans son cas. Dîtes lui qu’avant d’être une fille du papa qu’il décrit, c’est un être humain qui doit être respecté, aimé, compris. Un être humain qui a des sentiments. Non non, ne la laissez pas partir avec ce sentiment de culpabilité. Mais non ne faites pas ça. C’est injuste. Je me remets à twetter. Comme si cela allait m’apaiser le cœur. Pas du tout. Que dalle, mais je le fais quand même. 

Mon compagnon d’infortune, toujours lui, me console en rigolant. Mais oui t’as raison, ce n’est pas juste. Mais c’est comme cela, c’est l’Afrique, c’est le Sénégal, c’est, c’est c’est… murmurait-il, sur un ton mi-sérieux, mi-amusant. Ça frôlait le foutage de gueule.

J’étais là en pleurs, haletante, désemparée, faisant les 100 pas autour de la table basse, pensant à la détresse de la fille qui venait de raccrocher. Et je traitais de tous les noms toutes ces personnes qui avaient assisté à cette scène. Je leur en voulais d’avoir omis de parler des devoirs des parents envers les enfants. De rappeler que nous sommes des être humains avant d’être fils et fille. De dire aux parents que nous méritons respect en tant qu’être humain et ensuite en tant que fils et fille. Je m’adressai à ces gens à travers ma télé (quelle folie), sous les yeux impuissant du malheureux qui a passé cette soirée avec moi. Vous passez votre temps à nous servir l’histoire de l’œuf et de la pierre. Vous oubliez de dire à ces pierres que nous n’avons pas demandé à naître. Vous omettez toujours de sortir vos versets du Coran sur le devoir du parent envers son enfant. Savez-vous ce que procure l’amour et le respect d’un parent envers sa progéniture? Hey vous là, savez que le problème posé par votre téléspectatrice est une réalité au Sénégal ? Connaissez-vous Fatou Diome ? Je ne parle pas de cette dame que vous avez découverte sur le plateau de France 2 défendant excellemment l’Afrique sur le sujet épineux des migrants en Occident. Non, je ne vous parle pas de ce personnage. Je vous parle de cette écrivaine sénégalaise qui a travers toutes ses œuvres, toutes sans exception, rappelle à quel point le rejet de ses parents l’a marqué. Elle ressasse encore et toujours cette histoire de parents qui n’ont pas voulu d’elle. Vous vous en foutez de cette souffrance qu’elle décrit et que vivent certainement des milliers de Sénégalais ? Vous pensez que ce sont des histoires de toubab, de blanc ? Vous pensez que les enfants ne peuvent pas souffrir du manque d’amour et de l’irrespect des parents ? Connaissez-vous également Ken Bugul ? Cette autre écrivaine sénégalaise qui a parlé du malheur que lui a causé l’abandon de sa mère à travers son livre autobiographique, Le baobab fou. Et feu Aminata Sophie Dieye, votre célèbre chroniqueuse (paix à son âme), vous vous rappelez de ses écrits sur son père ? De ce goût d’inachevé que la mort de son père lui a laissé. De l’amour de ce père qui lui a tant manqué… Mais réveillez-vous chers gens ! Les parents façonnent une vie, en bien comme en mal. Il est temps que vous teniez un discours qui les interpelle. Qui les éduque. Qui les mette face à leurs responsabilités.

 

Je m’en allais retrouver mon lit, ma couette, le coeur lourd, pensant à tous les torts que le droit d’aînesse a causé à ce pays. Lessivée, je tenais à faire une dernière chose : appeler l’homme de ma vie. “Allô”, fis-je. “Ouiii ma fille chérie”, avait-il répondu avec enthousiasme. Je raccrochai net sur ces mots qui font que très souvent, je me sens plus puissante que le Monsieur là haut. La preuve, je viens de décider que c’est un homme et non une femme. Qu’il est là haut et non sous terre !

Aminata THIOR


Sénégal : musulmans mais tellement incohérents …

Bon, c’est le ramadan. La période des prêches. Un mois où la foi est courtisée par bon nombre de musulmans. En général, le temps est lent, les ventres gargouillent et l’esprit est réceptif aux belles paroles divines. Et moi, je viens vous proposer un billet ennuyeux. Mais attendez, ne partez pas, il faut que je vous précise quelques éléments.

Ramadan_Sénégal2Mon billet ennuyeux a sa place au milieu de toutes ces conférences religieuses qui ont remplacé les khew,  ces festivités que nous adorons tant : baptêmes, mariages, parrainage,… De toute façon, vous retrouverez ce genre de sujet ennuyeux que je vous propose ici avec nos prêcheurs, ces vedettes qui ont envahi nos télés et radios en cette période où le rappel des paroles de Dieu et de son prophète (PSL) nourrit les cœurs. Alors restez et discutons un peu de quelques unes de nos incohérences quant à la pratique de “notre islam”. Oui, notre car nous la pratiquons tellement à notre manière que des interrogations s’imposent.

Mais juste avant de vous ennuyer, permettez-moi de faire quelques rappels sur le Sénégal. Pays à 94% de musulmans. Peuple galvanisé dans sa bonne pratique de l’islam. Peuple se glorifiant de sa tolérance, de sa pratique pacifique de l’islam mais aussi et surtout de sa foi. Et je rajouterai, peuple tellement incohérent dans sa pratique de l’islam.

C’est bon, vous allez commencer la lecture ennuyeuse. Vous avez le choix entre partir ou rester découvrir ce qu’est un billet ennuyeux que je veux partager absolument avec vous. Bon, on enchaîne avec nos incohérences dans notre pratique de l’islam.

Atteinte à la dignité humaine

Pendant que nous clamons haut et fort notre tolérance et notre foi, nous continuons de refuser des mariages entre deux musulmans consentants. Oui, nous sommes en 2016 et des unions ne se scellent pas au Sénégal à cause des problèmes de caste. Nous continuons de refuser le mariage de nos filles si les prétendants ne sont pas du même niveau social (et vice versa). Si vous doutez toujours de ce phénomène, je vous conseille d’ouvrir les yeux en ligne. La récurrence de ce genre de témoignages sur les réseaux sociaux est sidérante. Je vous conseille également de vous ouvrir à vos amies, cousines et sœurs, elles vous diront leur souffrance sur les motifs de leur refus de mariage. Et pourtant, nous nous disons musulmans. Et pourtant, nous remplissons les mosquées. Et pourtant, nos cœurs sont remplis des paroles de Dieu. Quelle incohérence !

Pourquoi pensez-vous que l’élite musulmane sénégalaise envoie ses enfants dans les établissements d’enseignement privés catholiques de Dakar ?

Champions du monde de la passivité

D’ailleurs, j’aurais dû commencer à vous ennuyer en parlant de certains principes basiques que l’islam prône et que nous ne respectons pas. Le respect de la parole donnée est une utopie dans nos contrées. La discipline, la rigueur, la qualité, le respect de l’autre et le sens de l’organisation sont des notions que nous cherchons en vain dans nos maisons, nos bureaux, nos transports publiques et nos administrations. Pourquoi pensez-vous que l’élite musulmane sénégalaise envoie ses enfants dans les établissements d’enseignement privés catholiques de Dakar ? Pour retrouver justement ce qu’elle ne peut mettre en pratique elle-même. C’est un fait. Et le sort que nous réservons à nos fils et petits frères de la rue ? On en reparle encore et encore ? Et qu’en est-il de la sexualité ? Nous oublions qu’il y a un enseignement sur la sexualité dans l’islam et que le prophète (PSL) parlait souvent de sexualité à ses disciples*. Que faisons-nous de ce sujet dans les faits ? Les parents ne parlent pas de sexualité à leurs enfants. Non seulement ils oublient que le non-dit et l’interdit attisent la curiosité, mais ils s’attendent à ce que les mômes soient sages. Mais bien sûr, pourquoi pas! Et quand nos prêcheurs vedettes nous parlent de sexualité, cela devient du buzz car nous sommes plus à l’aise dans la pratique du sexe que dans son enseignement oral. Mais quelle incohérence !

Soukeuru Koor par force

lPendant ce même mois béni du ramadan, en parallèle des bonnes paroles répandues dans les airs, les maisons et l’espace public, certaines femmes sénégalaises musulmanes mariées démunies sont en train de se ruiner et de stresser pôur le soukeuru koor, ce fameux cadeau (en général du sucre) à donner à la belle famille au début du mois de ramadan. Vous connaissez ? Cette coutume devenue presque obligatoire où le symbole sucre est aujourd’hui remplacé par des tissus de valeur et de l’argent. Le tout à envoyer à la belle famille pour s’assurer de la bonne quiétude dans son mariage. Celles qui n’ont pas les moyens paniqueront mais feront quand même le nécessaire avec difficulté et celles à l’aise financièrement porteront le débat sur le cadeau de luxe à offrir. Soit! Dans les maisons, les époux diront que ce sont des histoires de femmes. Bon ça, c’est une forme de fuite de responsabilité. Et la belle-famille de son côté, attendra son dû de pied ferme. Et pourtant, durant toute la journée, nos prêcheurs vedettes n’ont pas arrêté de nous rappeler que l’islam ne recommande pas ces pratiques. Durant toute la journée, ils auront rappelé qu’il faudrait faire cette aumône aux plus démunis. Nous n’avons cure de toutes ces recommandations. Quelle incohérence!

Et si nous nous donnions cette aumône à ces groupements de femmes ? Ou à ces entrepreneurs  qui pullulent dans le pays ? Ou à ce soutien de famille ?

Sélectif dans la pratique religieuse

Attention, je vous préviens, cette dernière incohérence est la plus ennuyeuse de toutes. Elle pourrait parler à quelques mères Térésa. Allons-y mais vous êtes prévenus. Au Sénégal, pensons-nous réellement appliquer ce que l’islam dit sur la zakat, cet impôt obligatoire à donner aux plus démunis ? Il ne s’agit pas du mouroum koor, cette aumône à donner à un nécessiteux à la fin du ramadan. Non, il s’agit d’un prélèvement obligatoire à faire sur ses biens et à donner à une personne éligible, pauvre en général. Je vous avais prévenu, ça sent du mère Térésa tout cela. Ces phrases qu’on aimerait entendre et lire de temps en temps mais pas plus. Sa pratique ne correspond pas à nos réalités. La zakat est un des cinq piliers de l’islam, comme la prière ou le jeûne du mois de ramadan. Il est obligatoire pour tout musulman avec certains critères. Cependant c’est le pilier de l’islam qui est le moins respecté au Sénégal. Des organisations comme le Fonds Sénégalais pour la Zakat s’activent en ce sens. Mais soit elles sont peu nombreuses, soit non soutenues dans leurs actions. Quelle incohérence ! Et si nous nous donnions cette aumône à ces groupements de femmes ? Ou à ces entrepreneurs  qui pullulent dans le pays ? Ou à ce soutien de famille ?

Bon, c’est fini. J’arrête de vous ennuyer. Je tenais sincèrement à partager ces incohérences (loin d’être exhaustives bien sûr) en ces temps où je n’entends que de belles paroles sur notre foi et notre tolérance.

Oui, c’est un fait : nous avons une pratique très pacifique de l’islam. On n’a pas encore coupé la main d’un voleur à ce que je sache. Si ? Pareil, nous n’avons pas encore coupé la tête de celui ou celle qui a commis l’adultère. Alors, et si nous utilisons cette islam pacifique pour se développer intellectuellement et financièrement ?

Aminata THIOR

* Sexualité dans l’islam : l’exemple qui me vient en tête c’est quand le prophète (PSL) disait à ses disciples : “quand vous allez vers vos femmes, n’oubliez pas d’envoyer des messages” (faisant allusions aux préliminaires)


Wiri Wiri ou le reflet de la société sénégalaise

C’est parce que ça parle de mariage, de belle-famille, de secret de famille, de divorce, de justice, d’injustice dans nos contrées que ça intrigue, intéresse et attire.

Ils sont bon teint, enfin presque*. Ils sont locaux et non importés. Ils nous présentent le miroir de notre société, mais avec quel réalisme et talent. Wiri Wiri, « tourner autour du pot » est un téléfilm made in Sénégal mettant en scène les réalités de la société sénégalaise. Aujourd’hui, Wiri Wiri c’est 78 épisodes, une troupe théâtrale professionnelle, le Soleil Levant, un public conquis et des milliers de vues sur Youtube ( sans compter les vues sur les différents sites d’info sénégalais).

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Dès le premier épisode, ils plantent le décor. Je suis scotchée. Le contexte est saisissant mais très courant sous nos cieux. Un mari émigré laissant derrière lui une femme maltraitée par sa belle-mère. Tiens, ça me parle. Je pense à Fatou Diome avec son livre “celles qui attendent”. Je pense à toutes ces histoires lues, vues, entendues, de femmes restées au pays en attendant le retour du mari. Alors je m’accroche et je regarde les épisodes suivants.

Ils me montrent l’image de la méchante belle-mère. Celle qui terrorise le mari et qui ne respecte pas ses enfants. Mais ce phénomène, c’est du connu et comme pour le prouver, la team Wiri Wiri nous montre l’autre image de la belle-mère. Celle soumise au mari et qui ne vit que pour le bien-être de ses enfants, ses filles en l’occurrence. Tiens, ils viennent de me peindre les deux cartes d’identités d’une famille sénégalaise. Une famille dirigée par un père autoritaire et l’autre par une mère au caractère bien trempé. Pas de clichés mais la réalité donc je continue de regarder.

Soumboulou (droite) - Jojo (gauche)
Soumboulou (droite) – Jojo (gauche)

Ils me vendent du rêve à travers une histoire d’amour entre les deux acteurs principaux du téléfilm, Jojo et Soumboulou. Ils me rappellent l’importance du mariage, de l’amour, de la communication, du respect et de la responsabilité dans un couple. Que c’est beau. Pour une fois, il ne s’agit pas d’histoire d’amour entre Marimar et Sergio ou Isabelle et Pédro mais entre deux Sénégalais de bon teint (enfin presque). Bon je m’égare. De cette histoire d’amour, de ce beau mariage, ils y saupoudrent les ingrédients des réalités sénégalaises. Les belles-mères, les beaux-pères, les beaux-frères, les belles-sœurs, les voisins, le boutiquier du quartier … Enfin bref, vous m’avez compris. Je reconnais ma société. Je m’accroche de plus en plus au miroir Wiri Wiri.

J’y crois. J’y vois le reflet de ma société. Ils me présentent toutes les « sénégalités »  connues. L’importance et la banalisation du maraboutage dans les relations amicales et conjugales.  La violence dans les paroles et les gestes. La dimension du matériel dans l’esprit sénégalais. Que veux-tu de plus pour être heureuse, tu as une belle maison, une belle voiture… est l’une des phrases souvent criée dans ce téléfilm. Mais au-delà de ces « sénégalités », Wiri wiri revient sur certaines de nos valeurs : le Jom, le Ngor et le foula de plus en plus rares dans nos relations. Ils sensibilisent. Le poids de la justice dans les conflits personnels et litiges administratifs n’ont plus de secrets pour les fans de la série. Ils éduquent. Le respect des parents envers leurs enfants, dom nawléla  et le sort que nous infligeons aux enfants nés hors mariages, sont des thèmes abordés qui m’ont particulièrement marqués. Tout de suite, je pense à mes lectures, à l’ouvrage Impossible de grandir de Fatou Diome. Elle y parlait entre autres du regard de son entourage sur son statut d’enfant né hors mariage. Bref, vous l’avez compris, je suis accro à cette série. Ça me parle. Je suis abonnée.

Je crois en la sincérité des acteurs. A aucun moment je ne décroche. Je suis subjuguée par la sincérité et la ténacité de Binta, la gentille belle-mère. Je suis perplexe quand je vois les robes droites de Sa Neex, le méchant beau-père. Les couleurs et les cravates de Père Zora, le papa poule, me font mal aux yeux.  En totale admiration des débuts de pleurs de Mbaye, le beau-frère. Le personnage à la fois con et intelligent de Baye Fall me fascine, et pour finir je subis des électrochocs quand Soumboulou, l’actrice principale me lance “Je te Khais” ou que Jojo, le mari me crie du “j’ai Khonte de toi”.

J’allais oublier le décor et les tenues des acteurs. Mais quelle simplicité ! Pas de luxe clinquant ni de pauvreté criarde. Un juste milieu qui fait que chaque Sénégalais pourrait s’y identifier facilement.

Bien sûr, il y aura toujours des choses à améliorer mais je n’ai pas envie de les voir. Je n’ai même pas le temps de les voir en 29 min (durée de la série), tellement je suis happée par les réalités de ma terre d’origine.

Si vous ne connaissiez pas cette série ou que vous hésitiez toujours à vous y mettre, je vous conseille fortement de prendre rendez-vous sur la TFM les lundis et les vendredis. Sinon captez-la sur Youtube. Moment de détente garanti.

* enfin presque car la plupart des actrices de cette série ont recours à la dépigmentation de la peau, le khessal. Une pratique que je déplore pour ma part.

Aminata THIOR

 


Non, je ne lâche pas l’affaire mon Président

Quand je quittais le Sénégal pour la France en 2005, l’homme de ma vie, mon papa,  m’avait chargé d’un seul conseil : ne lâche jamais l’affaire. Depuis, je ne lâche jamais l’affaire. Jamais.

Non, je ne lâche rien mon Président - Nous voulons des réponses.
Non, je ne lâche rien mon Président – Nous voulons des réponses. Crédit Photo : Pap

J’ai encore mal. Ne le prenez pas pour de simples mots, car ils ne le sont pas. Ça vient du coeur, j’en tremble. On est le vendredi 03 Juin. Il est 3h 44h du matin, à Paris. J’écris ces mots, et je sens une scie en train d’effectuer un sale travail sur mon coeur. Non! ce ne sont pas que de simples mots. J’ai mal. Je dois aller dormir comme tout le monde, mais je n’y arrive pas. Je me demande encore pourquoi tes faits et gestes me touchent autant. Pourquoi ton manque de communication me ronge autant? Est-ce qu’enfin tu mesures l’impact de tes mots et décisions sur mes amis et moi ?

Hier, j’avais perdu mes mots quand je t’ai entendu sur RFI. Nabou a passé sa journée à te poser des questions. Et comme toujours, c’était silence radio. Ce matin, j’ai appris que Fary n’a pas dormi non plus cette nuit. Il se demandait : “où va le Sénégal?”. Mère Yatou s’inquiète sur la perte des valeurs morales que tu encourages à travers tes décisions.  Pourquoi cette énième trahison mon Président ? Pourquoi cette énième bombe morale et intellectuelle envoyée depuis l’étranger ? Tu ne crois pas à la souffrance de mes amis et moi ? Que dois-je faire pour que tu me parles ? Bon Dieu, qu’est-ce qu’ils ont de plus chez RFI pour que ça soit le lieu où je reçois les plus forts signaux de ta part? Leur audience est-elle plus importante que celle de RFM, de Sud FM, de RSI… ? Leurs journalistes sont-ils plus intéressés que les miens sur les affaires de mon pays? Sont-ils plus intelligents que nous? Sont-ils plus importants que moi à tes yeux?

Je souhaiterai que tu leur accordes un face à face. Tu choisis le lieu, nous choisissons les questions.

Peut-etre qu’il faudrait que je sois plus claire dans ma demande? Je souhaiterai te parler à travers les journalistes de mon pays, mon Président. Je souhaiterais que tu leur accordes un face à face. Tu choisis le lieu, nous choisissons les questions. Que faut-il faire pour que tu acceptes ? Dis le moi et je me plierai à tes conditions. Regarde, je te supplie et je ne devrais même pas. J’ai le droit de savoir. Je veux savoir, je veux comprendre. Les questions s’empilent et le besoin de réponse urge. On fait quoi des scandales soulevés par l’OFNAC? Et ces milliards octroyés à Bictogo? Et c’est vrai pour Waly (non ce n’est pas du People, on parle des sous de mes amis et moi et je veux savoir)? Et l’affaire Karim Wade, peut-on connaitre tes plans sur son cas? Enfin viens me dire où tu comptes mener mon pays. J’agonise.

Tant pis si tes amis et toi croient que je veux faire le buzz. Ou que je suis folle, voire ridicule. Peu importe.  Je me passerai bien de tout cela, mais je ne peux clairement pas me passer de tes réponses. J’en ai besoin et je ne lâcherai pas tant que je ne les aurais pas. Je ne lâche jamais l’affaire mon Président. Jamais.

Aminata Thior