Aminata THIOR

Sénégal : est-on prêt pour du journalisme d’investigation?

Au Sénégal, le journalisme est au plus bas de sa réputation. Et pourtant, nous avons la meilleure école de journalisme dans la sous-région : le CESTI.  

Avec la prolifération des sites d’informations en ligne, écrire pour faire du buzz est comme un mot d’ordre partagé entre les différents acteurs de la presse. Les manquements sont nombreux : le manque de formation de certains journalistes, l’absence de qualité dans le fond et la forme des contenus, la non diversification des sujets traités (la politique a pris le dessus sur d’autres domaines essentiels comme l’économie, l’environnement, la santé et l’éducation), l’éthique et la déontologie sont effacées des manuels de journalisme et les moyens financiers font toujours défaut dans les rédactions.

Aujourd’hui le lecteur a totalement perdu confiance en la presse et est en demande d’un nouveau genre de journalisme. Celui qui traitera des sujets d’intérêt public de manière approfondie. Celui qui mettra le nez dans les affaires qui gangrènent le pays. Un genre qui s’apparenterait à du journalisme d’investigation à la Médiapart. Mais les Sénégalais sont-ils réellement prêts pour ce journalisme d’investigation?

Plusieurs faits me poussent à me poser cette question. A quoi servirait un journalisme d’enquête si derrière on sait qu’il n’y aura aucune mesure prise pour remédier au problème soulevé ou aucune sanction ne sera appliquée au(x) responsable(s) d’un scandale ? Faisons d’abord le constat sur quelques affaires et le résultat qui s’en est suivi.

En 2013, le commissaire Cheikhouna Keita avait révélé l’affaire de la drogue dans la police nationale. Il a été démis de ses fonctions puis l’affaire est classée sans suite. En 2014, le colonel Abdou Aziz Ndao dans son livre intitulé Pour l’honneur de la gendarmerie Sénégalaise, avait évoqué un certain nombre de sujets scandaleux. Il y a eu silence radio sur ses révélations. La même année, Cheikh Bethio Thioune a été mis en examen pour association de malfaiteurs, meurtres et complicité de meurtre avec actes de barbarie. Aujourd’hui, il n’est pas inquiété et est retourné à ses activités de Thiant. Tay la gueuneu ay tchi Pakargni, ses pas de danse n’ont jamais été aussi affinés. En 2015, le chanteur Thione Seck a été inculpé pour du trafic de faux billets, blanchiment d’argent... Aujourd’hui il se repose à côté de Diaga et serait peut-être présent le 4 juin à Bercy à côté de son fils Wally Ballago.

Hier encore, le rapport d’activités 2014-2015 de l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption (OFNAC) a incriminé des hauts responsables de l’administration Sénégalaise. On est en train de spéculer en attendant que ça passe. Cet état des lieux des faits démontre plusieurs carences. Nos pouvoirs publics appliquent la loi du silence pour enterrer les affaires. Notre système judiciaire n’est pas indépendant pour ouvrir des enquêtes ou mener à bout des affaires déjà traduites en justice. Nos journalistes ne sont pas suffisamment engagés et indépendants pour mener des investigations sur certaines affaires. Et nous les lecteurs et citoyens, sommes trop passifs et peu exigeants envers ceux qui nous informent et nous dirigent.

Et l’engagement dans tout cela? Avons-nous des journalistes engagés prêts à mettre en place tout un système pour faire du vrai journalisme d’investigation?

D’autres éléments m’interpellent également sur un potentiel “Médiapart Sénégalais”. Cette  plainte pour diffamation que reçoivent régulièrement les journalistes, n’est-il pas un moyen de dissuasion à l’investigation au Sénégal? La question se pose car l’histoire a démontré que dès qu’un papier sensible accuse un membre du pouvoir, le journaliste concerné est arrêté pour diffamation. La question donc des moyens financiers se pose. Il faut de l’argent pour payer des avocats et assurer sa survie. Et au delà des attaques judiciaires dont le journaliste peut faire l’objet, un important capital financier est nécessaire pour :

  • Acheter des informations. Hé oui, certaines sources d’informations peuvent être payantes
  • Payer convenablement les journalistes et assurer une indépendance de l’information. Un point important quand on voit que la pratique du per diem a de beaux jours devant nous.
  • Mener une refonte totale des rédactions en intégrant des journalistes, des développeurs et des infographies. Un travail d’équipe quasi inexistant dans nos contrées.

Et l’engagement dans tout cela? Avons-nous des journalistes engagés prêts à mettre en place tout un système pour faire du vrai journalisme d’investigation? Qu’est devenu Libération de Yaham Mbaye? Et la Gazette de Abdou Latif Coulibaly? Et le Journal Enquête, fait-il le job comme on s’y attendait? Que va devenir Melentane, le site d’investigation de Mamadou Sy Tounkara et Oumar Bâ? Va-t-il tenir ses promesses ?

Et les lecteurs ou citoyens dans tout ça ? Nous n’arrêtons pas de réclamer une information approfondie et juste. Mais dès qu’il s’agit de sanctionner, nous oublions la raison et faisons appel à l’émotion. Papa Thione dafa fébar, nagne ko bal té avancé. Thione Seck est malade, pardonnons-le et passons à autre chose. Après tout, il a beaucoup fait pour le pays. Et tonton Taïb, qu’on le sorte way, il est malade. Et ces politiques, diarouniou top, tous des incompétents.

Malgré ces contraintes dissuasives, je tiens à rappeler que le Sénégal évolue dans un environnement démocratique qui lui permettrait de proposer du vrai journalisme d’investigation. Nous ne sommes pas en Mauritanie, où le blagueur Mohamed Cheikh Ould Mkheitir a été condamné à mort pour avoir écrit un article jugé blasphématoire envers le prophète de l’islam. Nous ne sommes pas au Burkina où le journaliste Norbert Zongo a été assassiné pour son refus obstiné de garder le silence sur un meurtre impliquant l’entourage proche du Président Compaoré. Nous ne sommes pas en Algérie où Mohamed Benichou, directeur de publication du journal le Matin a été condamné à deux ans de prison pour avoir écrit sur la corruption qui régnait sous Addel Aziz Bouteflika. Mieux encore, nous sommes parfois considérés comme les sentinelles de la démocratie en Afrique.

En somme, est-on prêt pour du journalisme d’investigation s’il y a défaillance sur tous les maillons de la chaine (Journalistes .Citoyens. Politiques. Justice.), malgré notre contexte favorable ?

Aminata THIOR


Mon Président ne me parle plus…

President Macky Sall of Senegal


Je pense qu’il me trompe. Enfin je pense qu’il l’a déja fait. Je le sais et d’ailleurs tout le monde est au courant. Il s’est foutu de ma gueule, comme tous les autres que j’ai connus. Mon Président m’a trompé avec le pouvoir. Hé oui, lui non plus n’a pas résisté à cette suprématie éphémère.

J’ai rencontré mon Président il y a 5 ans, dans le 18ème arrondissement à Paris. Derrière son pupitre et devant une petite assemblée d’une centaine de personnes, Il m’avait tenu un vibrant discours sur ses ambitions pour notre pays. Sur un ton ferme et passionné, un visage grave et une gestuelle qui rythmait le poids de ses mots, mon Président défendait son programme de la rupture. Rupture dans la gestion financière de la cité en commençant par une traque des biens mal acquis. Rupture dans la façon de faire de la politique en bannissant la transhumance et le népotisme. Rupture dans la promotion de la culture de la compétence en favorisant le mérite. Rupture en faisant de la demande sociale, sa priorité. Et il continuait ainsi à développer toute une série de mesures concrètes qui nous faisait rêver et qui tenait en haleine toute l’assistance.

Mon Président aux veillées culturelles de l'université Républicaine (2011). Crédit photo : MS
Mon Président aux veillées culturelles de l’université Républicaine (2011). Crédit photo : MS

A la fin de son discours, il me lança un franc regard, comme pour me dire : tu vois, j’ai des projets pour notre peuple et tu dois me rejoindre, tu dois voter pour moi, j’ai besoin de ta voix. Je le regardais, rassurée, le coeur rempli d’espoir. Plus tard, j’ai appris, qu’il avait lancé ce même regard, avec les mêmes mots à tous mes amis qui étaient présents dans la salle. Il descendit de l’estrade, serrait des centaines de mains avec un grand sourire et un regard bienveillant. Il nous touchait. Il nous embrassait chaleureusement et nous étreignait fort contre lui. Avec d’autres amis, je l’ai invité à prolonger la soirée dans un café, histoire d’échanger davantage sur le Sénégal. Il était ravi de la proposition, comme si c’était inespérée. Je me rappelle encore de son ton posé, de ses arguments étayés, de ses décisions tranchées sur certains sujets sensibles. Il me draguait en fait. Il voulait ma voix et celle de mes amis. Il me disait ce que je voulais entendre parce qu’ autrement, je ne peux comprendre pourquoi mon président ne me parle plus aujourd’hui.
Car oui, aujourd’hui mon président m’ignore et me snobe. Il fait la gueule. Je ne l’entends plus dans les stations de radios et télévisions Sénégalaises. Les seuls moments où je vois l’homme qui m’a trompé avec le pouvoir, c’est lors des évènements officiels. Je pense en effet aux fêtes de l’indépendance. Ou les fêtes de fin d’années (présentation des voeux aux Sénégalais). Ou cette seule fois où il a convoqué la presse nationale pour échanger. Ce sont les seuls moments où je mesure l’ampleur de son changement. Un discours généraliste. Des budgets colossaux sur des chantiers qui ne me parlent pas. Des projets d’envergure à venir et qui ne répondent en rien à mon besoin de survie quotidien. Il me regarde à peine et d’un air agacé.

Non sérieux, il n’y a que ma carte d’électrice qui l’intéressait, car autrement je ne comprends pas pourquoi il ne s’adresse pas à ma presse? Pourquoi s’exprime-t-il toujours devant la presse étrangère sur des questions qui concernent les Sénégalais en premier lieu? Parce-que Europe 1 et I-Télé sont plus écoutés et regardés au Sénégal que Sud FM et la RTS?

Explique moi le pourquoi, rassure moi, parle moi…

Je me sens blessée, trahie, méprisée. Il ne communique plus avec moi. Il prend des décisions qui engagent les futures générations et la mienne sans prendre le temps de me les expliquer dans le détail et dans le fond. Tiens, en Février dernier, il a décidé d’organiser un Référendum pour changer des points clés de ma constitution, et ce, en moins d’un mois. J’ai été prise en otage par une bande de politiciens médiocres. Et il y a quelques semaines, j’ai appris qu’il y avait des détenus de Guantanamo accueillis au Sénégal. D’accord mais explique moi pourquoi le choix de mon pays et rassure moi sur ma peur. Avant hier, j’ai appris qu’il avait signé une présence militaire permanente des Américains dans mon pays. OK mais encore une fois, explique moi le pourquoi, rassure moi, parle moi. Et aujourd’hui, il défend les APE (Accords de Partenariat Economique) mais dans ce cas mon Président, pourquoi les brillants économistes de mon pays sont contre ces accords?

Je n’en peux plus d’écouter tes déficients lieutenants qui jouent sur ma sensibilité religieuse ou morale pour justifier ou commenter certaines de tes décisions. Viens me parler comme tu le faisais à l’époque, avant de rencontrer le sieur Pouvoir. Viens m’écouter. Viens répondre à mes questions. Baisse ta vitre, ou sors de ta bagnole, tu verras les dégâts de ton manque de communication sur mes amis et moi. Tu te rappelles de nous d’ailleurs? Nous t’avions élu en 2012.

Aminata THIOR


J’ai raté ma vie (end)

J’effectuais beaucoup de déplacements dans le cadre de mon travail et il m’arrivait très souvent de faire de belles rencontres lors de ces voyages. La rencontre avec Abdoulaye Ndiaye m’a ramené 20 ans en arrière. Enfants, nous étions proches. En plus d’être des voisins, nous allions à l’école ensemble et faisions nos devoirs ensemble. Soit chez lui, soit chez moi. Il était tout aussi brillant que moi. Nos familles se connaissaient très bien. Nos mères se fréquentaient. Parfois quand les temps étaient durs et que la famille d’Abdoulaye manquait de provisions pour assurer un repas, sa mère et ses soeurs venaient se servir à la maison. En effet, la famille d’Abdoulaye était, en apparence, une famille de la classe moyenne. En réalité, ils étaient assez pauvres. Les trois repas quotidiens étaient difficilement garantis. Son père politicien, enseignait dans le collège où nous étions scolarisés et sa mère était une femme au foyer. Leur situation changea complètement du jour au lendemain lorsque le père de la famille Ndiaye entra à l’Assemblée Nationale avec l’arrivée d’un nouveau régime au Sénégal. En moins de trois mois, ils sont passés de la pauvreté à un luxe insolent. Cela a commencé par un déménagement au centre ville de Dakar en cours d’année scolaire. Abdoulaye et ses soeurs venaient désormais au collège à bord d’une mercedes conduite par le chauffeur de leur père. Sa famille revenait très souvent dans notre quartier bien fringuée et à chaque fois, avec une nouvelle voiture. Quant à Abdoulaye, il n’avait pas réellement changé à mes yeux à part qu’il portait maintenant de très beaux habits. La famille Ndiaye venait donc de rejoindre le cercle très fermé des nouveaux riches. C’est ainsi qu’on les appelait au Sénégal. À la fin de cette année scolaire, je voyais de moins en moins mon ami. Plus tard, j’ai appris par ma mère que la famille Ndiaye, sauf le père, partait vivre aux Etats-Unis. La perspective de revoir Abdoulaye après de si longues années de séparation fut un bonheur pour moi.

Paris, La Défense. Crédit photo : Eli Goren
Paris, La Défense. Crédit photo : Eli Goren

Il est 18h, j’étais en route pour mon hôtel. Lui voulait visiter Paris avant son retour à Washington le lendemain matin. Ingénieur en électronique, il était en charge du partenariat entre sa boite américaine et leurs fournisseurs européens. Tout comme moi, Abdoulaye voyageait beaucoup dans le cadre de son travail. Assoiffés de prendre des nouvelles l’un de l’autre, nous avons tous les deux décidé d’annuler nos programmes respectifs et de se poser dans un café à la Défense. Lorsque mon ami eut fini de me raconter son parcours, je découvris un carriériste, un homme à fond dans son travail et très attaché à ses deux pays : le Sénégal, son pays natal, et les Etats-Unis, son pays d’adoption. Je le fixai le coeur rempli de fierté jusqu’au moment où il me lança, sourire aux lèvres : « Et toi alors ? « 

Je lui racontai le parcours classique d’un jeune Dakarois qui quitta le Sénégal pour terminer ses études à l’étranger après l’obtention de son bac. Je suis arrivé en France à 17 ans. Ma famille d’accueil à Nice était un couple d’amis français de mes parents. Ils devaient m’héberger le temps que je trouve une résidence universitaire. La cohabitation avec leurs enfants fut l’une des expériences les plus marquantes de ma vie. J’étais trop noir à leur goût. Trop vilain et je puais. Mon gros nez et mes grosses mains étaient l’objet de leurs moqueries. Et ce n’était pas mieux à l’université. Je n’ai pas supporté les regards méprisants sur moi. En un an, je suis passé de l’enfant chéri de ses parents à l’intrus détesté dans une nouvelle famille d’accueil à l’étranger. Me sentant trop noir dans un milieu trop blanc, j’ai donc décidé de partir aux Etats-Unis. Ce fut un bon choix. Abdoulaye m’écoutait religieusement. Son visage alternait entre un brin de tristesse et des sourires hésitants. Je continuai donc mon récit en lui précisant qu’à Boston, ma nouvelle ville, la différence était toujours là mais elle était beaucoup moins pesante qu’à Nice. J’y ai fait des études en finances dans le seul but d’intégrer Wall Street à New York. Mes yeux se remplirent de larmes quand je concluai en lui disant que j’y suis arrivé avec l’aide de mes professeurs et les prières de mes parents. Nous sourîmes tous les deux. Timidement. C’était un moment gênant. Il enchaîna pour ne pas faire durer ce lourd silence.   » Et tu as quelqu’un dans ta vie?  » Je lui balançai un grand  » Oui, oui, oui. Je me suis marié avec Dave il y a 3 ans. C’est un homme attentionné, beau et intelligent. Nous avons adopté il y a un et demi Sherly et Aïda, deux magnifiques petites filles de 2 ans. Nous sommes des parents comblés. » Je fut interrompu par le silence d’Abdoulaye et l’absence d’expression sur son visage. « Ah! » Fit-il, perplexe. Avec dégoût et insistance, il me lança tout d’un coup : «  Mais Moussa Bodian, comment peut-on être comblé en étant un Goorjigueen, un homosexuel avec deux enfants adoptés? Aurais-tu oublié d’où tu venais. Que fais-tu de nos croyances, de notre religion qui interdit cet acte ignoble? C’est l’Amérique qui t’a fait cela? Mon pauvre perdu. Garçon, l’addition s’il vous plaît. » Il ne m’a pas donné l’occasion de répondre à ses interrogations. Il a payé la note puis il est parti. J’étais tétanisé. Je tremblais. J’avais peur. La même peur que me provoquait la professeur de français il y a 20 ans. Personne ne m’avait parlé avec autant de violence sur mon homosexuaité et cela m’interpella.

J’ai rencontré Dave au travail. Afro-américain, il est né et a grandi à Boston. Avec Dave, on partageait beaucoup de passions. La littérature, les mêmes combats pour l’Afrique, l’humanitaire et les jeux d’échecs. C’est d’ailleurs au cours d’une soirée de jeux d’échecs chez Dave que s’est réveillé cette envie. J’ai eu envie de le toucher. De plonger ma main dans ses cheveux crépus et touffus. De caresser sa bouche et ses joues. De le serrer fort dans mes bras. Et d’ailleurs, ce soir là, nous n’avions pas vraiment joué. Nous nous sommes contentés de nous regarder. Des regards remplis de questionnements. Avions-nous le droit? Le lendemain matin, nous nous sommes réveillés dans le même lit et la réponse était évidente pour tous les deux : oui, nous en avions le droit. Ce besoin de s’unir, nous ne l’avons pas décidé nous-même, il s’est imposé à nous. Lorsque j’ai partagé ce point de vue avec mes parents, ils ne l’ont pas compris. Ils ne l’ont pas accepté. Ils m’ont détesté, haï. La violence des propos d’Abdoulaye m’a évidemment renvoyé à celle de mes parents lorsque je leur ai annoncé ma décision de me marier à Dave. Elle m’a également ramené au regard méprisant de tous ces camarades de classe que j’ai pu rencontrer entre deux vols, dans un concert ou en voyage d’affaires. L’évidence : je ne représentais quelqu’un que dans ma propre bulle composée de mon Dave, de mes enfants et de mes amis américains. Je me levai difficilement de cette table de café à la Défense. La fin de la discussion avec Abdoulaye m’avait assommé. Je remettai tout en question. Notamment, ma réussite. Ai-je réussi comme je l’ai toujours voulu et pensé ?

De retour à New York, j’appelai mes parents pour leur annoncer mon imminent voyage à Dakar. Ma surprise fut grande quand ils m’annoncèrent que je ne serai pas le bienvenu.  » Ta morbidité nous convient tant que tu restes loin de la famille. Nous ne souhaiterions pas que tes frères soient au contact de cette maladie maudite. Et puis, la famille proche, les voisins, as-tu pensé à ce qu’ils pourraient dire sur nous? Nous sommes des musulmans respectés ici, nous ne voulons pas que tu ternisses notre image. » Ces paroles de mon père furent reçues comme des décharges électriques dans ma tête. Lorsque ma mère arracha le combiné à mon père, c’était pour me dire de venir à Dakar. « Viens mon fils, nous irons voir le marabout Ngoor à Niodor, il a gueri beaucoup de personnes atteintes de ta maladie » me dit-elle, avec assurance. Cela ne servait à rien de leur rappeler pour la énième fois que je n’étais pas malade. Que je n’ai pas choisi cette nature. Que j’étais conscient que ma religion l’interdisait. Que je n’y pouvais rien. Mais rien n’y fit. Je partis alors pour Dakar. J’allais essayer de me soigner. Il fallait que je retrouve l’estime de mes amis et de mes parents. J’eus la bénecdiction de Dave qui resta convaincu que je reviendrai à lui. « Il n’y a pas de remède pour ce que Dame Nature a décidé pour nous« , m’a-t-il murmuré avec amour et conviction.

Dix jours que j’étais à Dakar. Dix jours que je n’ai vu personne, hormis papa et maman. Quand j’ai demandé à voir mes frères et certains de mes amis, ma mère me rappela que j’étais trop efféminé. « Tu seras vite repéré avec tes manières de femme. Tu ne peux pas voir du monde. Ici les gens reconnaissent vite les Gorjigueen, les homosexuels. Tes traitements seront bientôt terminé avec Ngoor et tu pourras retrouver ta dignité d’homme et voir du monde.  » me répétait-elle souvent. « D’ailleurs, il te reste un seul sacrifice à faire et tu redeviendras Homme mon fils« , affirmait-elle avec assurance. Pour ce dernier sacrifice comme le nommait ma mère, je devais me rende à un cimetière, déterrer un cadavre musulman et toucher son sexe. Et ce, quand il n’y aura plus d’étoiles dans le ciel.

Crédit photo : Ogust1
Crédit photo : Ogust1

Cette nuit là, je me dirigeai vers le cimetière de Thiey Yalla de Dakar pour y commettre mon forfait et retrouver enfin ma nature d’homme, comme le promittait Ngoor. À l’entrée, grâce à lumière de la lune, j’aperçus un homme grand, mince, beau, sobrement habillé d’un caftan gris-blanc et des mocassins gris. Je lui aurai donné la trentaine. Sa prestance frappait à l’oeil de loin. « Il y a quelqu’un devant l’entrée, je ne pourrai entrer ce soir« , me disais-je. Soulagé. Je décidai donc de rebrousser chemin quand j’entendis, « hé grand lo beugone » : « Hé Monsieur, que désiriez-vous ?« . Je m’arrêtai et lui répondis : « Non, rien. Je voulais visiter la tombe de mon grand père mais je n’ai pas le courage, c’est trop dur pour moi. » « Ah », me fit-il avec un air malicieux. « Sinon, si voulez que je déterre un cadavre, n’hésitez pas. Mais cela vous coûtera cher« , ajouta-t-il. « Pardon? » lui demandais-je. « Vous avez très bien entendu Monsieur. Des gens comme vous, j’en rencontre toutes les nuits. Laissez-moi deviner. Vous, vous cherchez un cadavre pour partir à l’étranger. Hum, en fait non, vous n’avez pas l’air de quelqu’un du coin, donc vous vivez déjà à l’étranger. Vous devez avoir alors de gros soucis dans le pays des toubabs, les blancs. Votre marabout vous a certainement conseillé de toucher un cadavre pour résoudre vos problèmes« , cria-t-il. Je restai là. Immobile. Surpris. Choqué. Absent. « Bon bref, pour quelle raison êtes-vous là ? », me lança-t-il avec agacement et empressement. « Vous avez vu juste, j’ai des problèmes au pays des blancs, il me faut un cadavre », répondis-je calmement. « Ah, je le savais« , enchaina-t-il, sourire aux lèvres. Content de sa trouvaille. « Ok, je vais le faire. » « Et ce sera pour combien ?« , demandai-je encore. Il ricanna longuement mais amèrement. Ce genre de rire forcé qui dégoute l’auteur lui même. « Vous allez devoir coucher avec moi, je suis en manque« , confia-t-il avec calme et tristesse. « Quoi ? Mais vous êtes fou ! » criai-je. « Je ne ferai jamais cela, je trouverai un autre moyen« , lui lançais-je tout en quittant les lieux. 500 mètres plus tard, je retournai sur mes pas avec une seule question aux lèvres : pourquoi ce prix?

Je le trouvais en larmes, le dos appuyé sur son 4X4. « Vous êtes très beau monsieur« , commençais-je.  » Vous êtes également très jeune et … » « Et pourquoi je fais ça? c’est ça? » me coupa-t-il. « J’ai passé une bonne partie de mon enfance dans la rue. Entre mes 5 ans et mes 12 ans, je me reveillais à 5h du matin pour apprendre le coran. À partir de 7h du matin, j’errais dans les rues de Dakar jusqu’à tard dans la nuit. Pour dormir le soir, j’avais le choix entre rentrer à la maison, chez mon marabout, ou venir dormir ici, dans ce cimetière sous un arbre. J’ai préféré ici toutes les fois où je n’avais pas le pactole qu’il fallait ramener à la maison. J’y ai rencontré des hommes et des femmes. Ils m’ont offert de la nourriture, des habits chauds en échange d’un plaisir sexuel. Par la force, le plus souvent. Ou en échange de leur déterrer un cadavre comme vous ce soir. Par la force également. J’ai fini par aimer tout cela. J’ai surtout fini par aimer le plaisir sexuel que je donnais aux hommes. Le bonheur que je ressentais, je ne l’éprouvais jamais avec ces femmes qui me forçaient à coucher avec elles. »

 » Puis un jour, mes parents sont enfin venus me chercher à la fin de mes 12 ans. Ils m’ont scolarisé. J’étais bon élève et je m’épanouissais dans les études. Aujourd’hui, je suis directeur d’une banque à Dakar. Marié avec l’épouse parfaite. Pieuse. Obéissante. Belle et intelligente. Nous avons ensemble 3 magnifiques enfants. Aux yeux de la société Dakaroise, nous avons réussi. Cependant, Je viens ici, 3 à 4 fois dans la semaine pour espérer y rencontrer un homme et coucher avec lui. En réalité, je reviens ici à chaque fois que je suis en manque. Je mène une double vie. C’est le prix que j’ai payé pour vivre de ma seconde nature. J’ai essayé de me soigner car ici on dit que c’est une maladie. Je me suis renseigné discrètement, car si cela se savait, je ne vaudrais plus rien dans cette ville, dans ce pays, dans cette vie. J’ai donc rencontré un marabout au nom de Ngoor. Il m’a conseillé de toucher le sexe d’un cadavre musulman. Ce que je fis sans problème. C’était il y a deux ans. Inutile de vous dire que je ne suis pas guéri car je suis encore là ce soir. En feu. Allez venez, faites moi ce plaisir. Et d’ailleurs, vous ressemblez trop à un goorjigueen, vous êtes trop doux pour être un vrai mec. Et puis vos manières… Heureusement pour moi, j’ai la chance que ça ne se voit pas. » dit-il sur un ton taquin…

Crédit photo : Diké
Crédit photo : Diké

Je quittai ces lieux en courant presque. Je sus que je ne guérirai jamais si j’étais malade. Plusieurs possibilités s’offraient alors à ma pauvre personne. Me suicider pour en terminer avec cette nature nauséabonde. Épouser Coumba, la cousine préférée de ma mère. Rentrer à New-York, continuer ma petite vie de famille en faisant une croix sur les miens, ma religion, ma culture et ma tradition. Ou avoir une double vie comme le Monsieur du cimetière. Aucune de ces options ne m’allait. Je me dégoûtais. Je décidais de changer de religion et me rapprocher de Dieu. C’est ainsi que je suis devenu prêtre à New York. J’ai abandonné Dave et les enfants pour me concentrer sur ma religion. Je croyais en avoir fini avec cette seconde nature, cette infirmité, ce crime immoral, cet immense péché, mais en réalité je me trompais. Ce fut pire dans la maison de Dieu. J’y ai rencontré le petit Karl et je suis devenu son monstre.

Aminata Thior


Coup de cœur lecture : Balzac m’a sauvé d’Elgas

Je ne peux pas faire de note lecture sur Un Dieu et Des Mœurs d’Elgas. Je n’y arrive pas. Et pourtant, je l’ai lu trois fois. Et chaque nouvelle lecture était comme une première pour moi. Les deux bouquins que j’ai lus à la suite d’Un Dieu et Des Mœurs étaient les pires bouquins de ma vie. Ils étaient fades. Sans âme. L’horreur. Un troisième ouvrage d’un de mes auteurs préférés allait s’ajouter à cette liste noire de livres que j’ai qualifiés de nul et cela m’interpella : je pense trés sincèrement que j’étais possédée par les palpitants écrits d’Elgas.

Mes week-ends, le père Goriot et moi
Mes week-ends, le père Goriot et moi

Il a fallu me plonger dans les personnages déments du Père Goriot pour oublier les percutants tableaux de vie d’Elgas. C’était la délivrance : Balzac m’a libéré d’Elgas. J’ai donc essayé d’écrire cette fameuse note de lecture sur Un Dieu et des Mœurs et je me suis très souvent retrouvée devant une page blanche. A chaque tentative, les mots se bousculaient dans ma tête et les émotions me submergeaient. C’était chiant. Je me suis donc dis que je vais démarrer l’aventure booktubeuse avec Un Dieu et Des Mœurs. Et bien, c’est chose ratée : je n’ai pas dit ce que je devais (et voulais) dire. J’ai fait cent prises en 2 mois et à chaque fois le résultat était catastrophique. Ras-le-bol, on y va quand même. Mais cela ne vous empêchera pas de regarder cette vidéo (voir ci-dessous). Retenez juste que si vous n’avez pas encore lu ce fabuleux bouquin, ne tardez plus.

Dans ce chef d’oeuvre d’Elgas, vous y retrouverez le miroir de la société Sénégalaise. Avec du courage et de la lucidité, l’auteur s’est attaqué aux maux d’une société ployée sous le poids de la tradition et de la religion. Il a reussi avec talent, à mettre de la vie et de l’urgence sur des réalités que nous avons finies par banaliser. Chaque portrait ou récit que vous découvrirez dans ce bouquin, vous fera forcément penser à un quelqu’un de votre entourage. Pire, ce livre vous attaquera, attaquera votre famille, votre pays, votre continent. Il testera votre sincérité envers vous même. Vous allez pleurer (c’est selon : si vous êtes une madeleine ou un rock). Vous allez éclater de rire. Vous allez vous détester. Oui, il y aura ce concert d’émotions. Vous savez pourquoi tout cela ? Parce-que ce bouquin est comme cette vérité dure à entendre qui vous met au défi de la nier. Cette oeuvre est un vrai test sur la lâcheté : il y a pleins de cases à cocher et à la fin vous en saurez plus sur votre degré de lâcheté sur les réalités Sénégalaises.

Un Dieu et Des Mœurs ouvre le débat sur des sujets sensibles au Sénégal et en Afrique en général (mort gratuite, excision, enfants talibés, fanatisme mou, homophobie, lévirat, fatalisme…). Et il n’y aura pas de Cheikh Anta, pas de Lumumba, pas de Sankara pas de leader charismatique pour nous sauver de ces maux.  Non! Nous devons tous nous mobiliser pour débattre ouvertement sur ces sujets là, trouver des solutions concrètes et procéder à leur mise en oeuvre. L’urgence serait peut-être sur ce gamin en haillon que tu as croisé tout à l’heure en sortant de chez Mamad Saliou, le boutiquier du quartier. Sinon, tu as certainement vu sa photo sur l’une des nombreuses pages facebook de ces associations qui s’occupent de son cas.Tu vois ? Je te parle de ce gamin qu’on te citera sur le Sénégal après t’avoir parlé de sa Téranga (hospitalité). Bon au pire, si tu ne sais toujours pas de qui je parle, tape “haillon + enfant + Sénégal » sur Google images. Attention aux yeux, ça va faire mal.

J’ai lu et adoré Un Dieu et Des Mœurs d’Elgas. Dans ma bibliothèque,il a rejoint le cercle fermé des classiques de la littérature Sénégalaise. Je l’ai fièrement rangé à côté de Mariama Bâ, la célèbre auteure d’Une si longue lettre (cet autre classique de la littérature Sénégalaise).

Lisez-le, faites le lire. Débattons-en.

 

Aminata Thior


J’ai raté ma vie (1)

J’étais plutôt bon élève dans ma scolarité. Au premier et second cycle. Non, plutôt bon élève dans mon parcours scolaire en général. Ce qui fait que je me retrouvais souvent avec des prix lors des fêtes de fin d’années organisées par l’école pour récompenser les meilleurs élèves. Je recevais la plupart du temps des livres. Je me retrouvais donc avec beaucoup de bouquins dans la bibliothèque de ma mère. Ou plutôt l’endroit où elle rangeait sa vaisselle que j’ai fini par transformer en bibliothèque.

Crédit photo : Bruno Ben MOUBAMBA
Crédit photo : Bruno Ben MOUBAMBA

Mon meilleur souvenir de ces années là reste mon premier devoir de dissertation en 6ème, au collège Ndiaga Ndiaye à Dakar. La professeur de français était une belle femme. Grande et fine. De teint clair avec pleines de tâches brunâtres sur les doigts. Ce genre de tâches qu’on retrouve chez les femmes noires qui se dépigmentent la peau. Côté vestimentaire, elle était toujours en tailleur. Jupe courte, veste bien taillée. En position assise, les jambes croisées, elle nous offrait, à nous garçons de la classe, une belle vue sur ses cuisses. Et pour finir, cette professeur, grande, mince, claire et belle était crainte par tous les élèves. Elle était sévère et cassante. Je n’ai pas souvenir d’elle en train de sourire. C’était une belle horreur, cette femme.

Pour le premier devoir, elle nous proposa un sujet que toute la classe avait trouvé difficile : “ Vous êtes en train d’effectuer une tâche et vous recevez une nouvelle. Racontez”. Nous étions une classe d’une centaine d’élèves, entassés sur des tables-bancs à 3 ou 4. J’ai eu du mal à écrire une seule ligne sur ma feuille, contrairement à mes camarades qui se sont tout de suite jetés sur leurs copies dès le top de la prof. J’ai quand même fini par accoucher une dissertation au terme de l’heure et demi du contrôle…

Arrivé chez moi, j’ai éclaté en sanglot, disant à ma mère que je venais de rater mon devoir de français. Je ne criais pas, je hurlais. Lassée de supporter le bruit que je faisais, elle me demanda de lui montrer ma note. Je lui répondis qu’il n’y en avait pas : “c’est un devoir que je viens de faire…”. Elle a dû m’insulter en Diola (une des langues parlées au Sénégal) et est retournée à ses occupations. J’ai juste entendu mon prénom Moussa puis des mots avec un son lourd, prononcés avec amertume. Des insultes, sûrement.

Une semaine passa, et je ressassais toujours ma mauvaise prestation à ce devoir de français. Puis 2 semaines,  puis 3, puis 4, et j’oubliai que j’avais fait cette dissertation. Deux mois passèrent, peut-être plus, et nous n’avions toujours pas reçu les notes de ce fameux contrôle. Nous en avons donc conclu que la prof l’avait annulé.  Normal, c’était tellement dur pour les élèves de 6ème que nous étions. On n’osa pas demander de nouvelles à la concernée. L’humiliation qu’on aurait pu en récolter nous en dissuadait. Les cours de français se passèrent donc normalement, sans cette peur qu’elle nous sorte les copies de ce devoir.

Puis un jour, à une demie-heure de la fin du cours, la belle méchante sortit de son sac une grande enveloppe marron clair, avec quelques mots en noir écrits dessus. J’entendis le claquement de mes dents et je ressentis ma vessie se remplir. Vite, je dois pisser. Je ne pouvais pas et je n’avais pas le courage d’aller lui demander la permission. De toute façon, cela ne servait à rien d’y aller car j’avais perdu la voix. J’avais peur. J’avais mal. J’avais l’impression d’être pressé comme un citron, tourné et retourné dans tous les sens pour récupérer le maximum de jus. Les yeux fermés durant toute tragédie que subissait mon corps, j’entendais la voix de la belle horreur sans comprendre ce qu’elle disait. Puis silence total. J’ouvris les yeux et vis un mélange de noir et de blanc dans la salle de classe : les visages noirs de mes camarades avec leurs copies blanches entre leurs mains. Le temps de me retourner pour m’assurer que tout le monde avait reçu sa copie sauf moi et j’entendis la voix de la mégère crier : “Qui est Moussa Bodian”? Personne ne bougea. Elle avait posé cette question d’une manière froide. Le visage terriblement fermé. Les mâchoires creuses. Elle répéta sa question et toujours pas de réponse. Mes deux camarades de classes assis à ma gauche et droite avaient pris en otage mon corps qu’ils n’arrêtaient pas de pincer. En rythme avec leurs murmures, ils m’imploraient de répondre à la professeur.

Et enfin, je décidai de lever la main, sous la contrainte de mon corps et des supplices qu’il subissait. “C’est moi”, disai-je timidement et fébrilement. “Vous avez la meilleure note, venez récuperer votre feuille.” Je me levai et sentis mon entre-jambe mouillé et une centaine de paires d’yeux posés sur moi. Il me semblait que deux heures venaient de passer rien que pour récupérer cette saleté de feuille. Quand je lui tendis la main pour saisir la copie, elle m’ignora et lança : “Attendez, il faut que je partage votre récit avec la classe.” J’avais raconté l’histoire de cette jeune mariée sénégalaise en train de faire la lessive à la main quand le facteur entra et lui remit une lettre. C’était celle de son mari, émigré en Italie. A la fin de sa lecture, j’entendis les applaudissements de mes camarades. La belle méchante avait apparemment trouvé l’histoire captivante, bien écrite sur le fond et sur la forme. Pour terminer, elle trouvait que ce n’était pas de mon âge d’imaginer de pareilles histoires et que je devais continuer ainsi. Etait-ce un compliment? Je ne sais pas : elle le disait toujours avec cette froideur qui vous donnait envie de fuir.

Crédit photo : JuTa234
Crédit photo : JuTa234

Depuis ce jour, j’ai continué de lire les livres qui n’étaient pas de mon âge, car c’était mon seul moyen de rentrer dans le monde des adultes. A l’école, j’étais connu de tous sans le vouloir. Mes camarades se sont très vite rendus compte que je n’étais pas bon uniquement qu’en français mais en maths, en physique-chimie, en anglais… je raflais les meilleures notes partout. 20 ans plus tard, j’ai perdu contact avec certains d’entre eux, et d’autres sont restés dans mon cercle d’amis proches. J’avais un bon poste à Wall Street. Marié et père de deux enfants. J’en avais conclu que j’étais un homme heureux, qui avait réussi aux yeux de ses parents et de leur société. Cette perception changea le jour où j’ai croisé Abdoulaye (un ancien camarade de classe qui faisait parti de ceux perdus de vue) à la Défense à Paris, lors d’un séminaire.

Aminata Thior


Un matin pas comme les autres …

C’était un vendredi matin. Il était 11h passées quand le téléphone sonna. Au bout du fil, j’entendis une voix hésitante. Il m‘annonça une nouvelle dont je ne mesurai pas l’ampleur. Un silence puis la voix répéta avec plus de détails. J’ai poussé un cri de douleur. Ce genre de cri sourd, lourd et intense. C’était mon père. Il venait de m’apprendre le naufrage du bateau le Joola au large des côtes gambiennes.

La plus grande tragédie de l’histoire du Sénégal

Bateau Le Joola. Source : Wikipedia
Bateau Le Joola. Source : Wikipedia

C’était le jeudi 26 Septembre 2002. Le Joola, le ferry sénégalais qui reliait Dakar à Ziguinchor, la région au sud du Sénégal, sombrait au large de la Gambie. Les premières heures de ce drame furent terrifiantes pour les Sénégalais partagés entre l’espoir de trouver des survivants et le désarroi de perdre de nombreuses vies. Le quai d’arrivée du Joola au Port de Dakar était assailli par les familles des victimes. Les chiffres croissants sur le nombre de morts sonnaient comme une sentence. Les semaines passaient. Le port ne se désemplissait toujours pas. On attendait en vain l’arrivée d’un survivant venir s’ajouter à la petite liste de rescapés. L’ambiance était lourd dans tout le pays. La tristesse et la douleur emplissaient les lieux de vie. L’heure était au recueillement. Le Sénégal était  en train de vivre la plus grande tragédie de son histoire. Au moins 1863 morts et disparus selon les sources officielles, près de 2000 morts selon les associations des familles des victimes et 64 rescapés. 14 ans après, ma douleur est restée intacte. Et une voix me hante.

Une voix, une inconnue, une douleur

Epave du bateau au large des côtes gambiennes. Source : wikipedia
Epave du bateau au large des côtes gambiennes. Source : wikipedia

Du Joola, j’en garde cette image de l’épave au beau milieu de l’océan et les sanglots de Yaay Astou, cette mère de famille d’une cinquantaine d’années. Elle avait perdu toute sa progéniture dans ce drame. Nous l’avions tous vue et entendue dans les médias. On l’éloignait difficilement du quai. Elle se débattait pour aller chercher “khaleyi” – les enfants. “Ana Khaléyi ?” – Où sont les enfants? “Ana khaléyi, wooy ana khaléyi” – Où sont les enfants, mon Dieu où sont les enfants, répétait-elle tout en pleurant. Qui n’a pas entendu les cris de détresse de Yaay Astou?

J’aimais l’école. Nous étions en pleine préparation de la rentrée scolaire. Ma douleur était donc intense à l’endroit de ces élèves qui ne rentreront plus jamais en classe. Aux petits écoliers qui ne mettront jamais leurs belles tenues de la rentrée. Aux collégiennes et lycéennes qui ne se rivaliseront plus de leurs belles tresses. Aux étudiants qui n’utiliseront plus leur billet d’avion de retour à la terre d’accueil. On était au mois de septembre. Il y avait des centaines de jeunes dans ce bateau. Voir et entendre Yaay Astou crier “Ana Khaléyi, daniou wara diangui” – où sont les enfants? Ils doivent aller à l’école,  a fendu le petit cœur de gamine que j’avais. 14 ans après, j’ai vu, vécu et vit encore d’autres “petits Joola”

L’histoire se répète…

Laxisme. Ce mot était rentré dans mon vocabulaire dès le matin du 27 septembre. C’était lui le coupable. Le laxisme sénégalais a donc conduit à la perte de milliers de vies. Un bateau qui devait contenir 550 voyageurs en a embarqué plus de 1500. Un ferry avec des pièces mécaniques défectueuses a donc été mis en circulation par une autorité dite laxiste. L’irresponsabilité des Sénégalais était décriée. Des mesures et des changements de comportement s’imposaient. Des semaines après cette catastrophe, la discipline était au rendez-vous. Les transports en commun n’étaient plus bondés. La télé et les radios pullulaient d’émissions sur la discipline et la sécurité. Des mois plus tard, les habitudes reprenaient leur place dans le quotidien sénégalais. L’Indiscipline redevenait maître du Sénégal et de ses citoyens. Aujourd’hui encore, les drames se succèdent et se ressemblent. Le maître reste le même : l’indiscipline. Il a même trouvé des alliés : l’inconscience, l’irresponsabilité, l’égoïsme, l’impunité.Il continue de créer des Yaay Astou et des orphelins. Des victimes accompagnées les premiers jours et oubliées pour le reste de toute une vie. Nous autres citoyens, adoptons l’indignation les premiers jours de drame puis l’oubli les jours suivants. Les autorités ressortent la phrase des jours de deuil: “Nous prendrons toutes les mesures nécessaires pour que ce genre de drame ne se reproduise plus”. Et tous en cœur, nous nous remettons à la volonté divine.“Ce fameux “ndogalou yalla”avec son don d’apaiser les cœurs et d’atténuer toute envie de révolte.

Aminata Thior


Impuissantes face à la polygamie

J’ai toujours pensé que les femmes Sénégalaises qui vivent en campagne ne souffrent pas de la polygamie. Et ce, du fait de leur proximité dès la naissance avec cette pratique plus courante dans le monde rural qu’en ville. J’ai carrément changé d’avis quand j’ai rencontré deux remarquables jeunes femmes vivant au fin fond du Sine-Saloum, au Sénégal. Elles sont nées et ont grandi dans des familles polygames et pourtant souffrent déjà à l’idée de partager leur petit mari.

Région de fatick
Localisation région de Fatick en Orange. Source Wikipédia

Je suis arrivée à Kardine, un petit village situé dans la ville de Fatick, une des régions à l’Ouest du Sénégal vers 19h. On était au mois de Janvier, le soleil avait déjà disparu et cédait sa place à la lune. La lumière de cette dernière m’a permis d’avoir un petit aperçu de mon lieu de séjour et de ses occupants. C’était une grande maison familiale sérère (une des ethnies au Sénégal) divisée en petite parcelle. Chacune étant occupée par un couple de mariés ou par une grande famille polygame. La cour de cette concession était immense. On dirait un terrain de football. Elle était remplie d’enfants qui criaient à tue-tête et de femmes qui s’affairaient dans les cuisines. Parmi elles, deux ont attiré mon attention : Sata et Maty.

D’abord Maty. Grande et fine de taille. Je lui donne 25 ans maximum. Elle a un teint noir brillant. Des dents blanches qui donnent encore plus d’éclat à sa noirceur d’ébène. Lorsque je l’ai vue dans sa longue robe droite blanche près du corps, j’ai cru que c’était une dakaroise qui était de passage dans son village natal, le temps d’un petit séjour. Tellement elle est belle, classe et élégante. Physiquement, elle se démarquait des autres femmes de son entourage. Maty est mariée à Birima, mon chauffeur et guide touristique. Ce dernier vit à Mbour, une station balnéaire près de Dakar. Toutes les deux semaines, il revient à Kardine passer deux ou trois jours avec sa femme et leurs deux enfants. Toute la soirée, Maty s’est occupée de moi. Elle faisait des allers et retours pour mettre à ma disposition tout ce dont j’avais besoin. Il est 22h passées. Nous avons fini de diner. La meute d’enfants avait disparu, certainement dans les bras de morphée et nous nous sommes tous retrouvés au milieu de la grande cour de la maison en train de papoter sur tout et rien. Lorsque la discussion a débouché sur la polygamie, les rires étaitent moins francs. Les voix avaient baissé de volume. Malaise. Seules les femmes de cette assemblée qui vivaient dans un foyer polygame essayaient de rompre ce début de silence lourd. Maty, joviale il y a quelques minutes, s’est tout bonnement levée pour rejoindre sa chambre prétextant un mal de tête. En effet, à ma question sur sa potentielle réaction, lorsque Birima épousera une seconde épouse, j’ai à peine entendu sa réponse. Si elle y a répondu d’ailleurs. Le sujet de la polygamie est tabou chez ce jeune couple. Pour Birama, c’est inévitable de ne pas épouser une seconde femme.

photos de co-épouses. Source Wikipédia
photos de co-épouses. Source Wikipédia

« C’est la tradition. Nos pères l’ont fait et cela s’est bien passé, pourquoi pas nous. »

Me répond t-il quand je lui ai posé la question en l’absence de Maty. Cette dernière n’accepte pas la polygamie. Le changement radical de l’expression de son visage passant du sourire d’ange à la fermeté d’une lionne affamée, en témoigne. Quand j’ai ré-essayé le lendemain de lui demander son avis sur le sujet, elle m’a gentiment fait comprendre qu’elle ne voulait pas parler de cela.

“J’ai vécu dans une famille polygame. J’ai vu les souffrances de ma mère. Je le vois encore ici avec toutes ces femmes co-épouses qui m’entourent et je ne me vois pas à leur place. Je donne tout ce qu’il faut à mon mari. Il n’a rien à chercher ailleurs”.

Contrairement à Maty, Sata, elle, parle de son désarroi ouvertement. Mariée, la trentaine bien sonnée.  Peut-etre moins. Mais avec 4 enfants, un 5ème en route et des corvées ménagères trés physiques à s’acquitter tout au long de la journée, difficile de lui donner moins de 30 ans. Alors que la plupart de mes interlocutrices me parlait avec un wolof moyen et un fort accent sérère, elle, maniait parfaitement les deux langues wolof et sérère (deux des langues nationales les plus parlées au Sénégal). On me dira plus tard que c’est une wolof qui a rejoint la grande maison familiale après son mariage avec Abu, le seul garçon qui est resté au village. Gardien de la cellule familiale : l’absence des hommes dans les campagnes au profit de la ville est une réalité. Contrairement à Maty qui ne sait pas que Birima a l’intention de prendre une autre femme, Sata, elle, est au courant de la nouvelle. Abu le lui a clairement dit :

Ce n’est qu’une question de temps, je vais bientôt te ramener une soeur”.

Sata était celle qui parlait le plus avec moi. Avec aisance et naturel. Cette jeune femme qui a débarqué à Kardine pendant l’été 2011, ne comprenait aucun mot en sérère. Au bout de deux mois, la prolixe Sata causait dans la langue de Léopold Sédar Senghor comme si c’était sa langue maternelle. Sans gêne et avec un ton naturel, franc et dynamique, elle essayait de convaincre son mari devant toute l’assistance de ne pas lui ramener une co-épouse.

« Oui c’est dur de s’occuper des enfants toute seule. Cuisiner presque tous les jours pour une dizaine de personnes. Préparer le thiéré (coucous sénégalais) qui me prend certes toute une journée (les autres tâches ménagères non comprises). Faire le linge et le repassage associé. Non, cela ne me dérange pas de me lever à 6h du matin pour me coucher qu’à minuit (non ce n’est pas un cliché mais une réalité vue). D’accord c’est dûr.  Mais si c’est pour me décharger de ces travaux que tu veuilles épouser une seconde femme, ne le fais pas. Je n’en ai pas besoin. »

Abu n’était pas de cet avis. Il était convaincu que Sata était fatiguée. Qu’il fallait la seconder. A l’idée de lui trouver une aide ménagère pour l’aider dans son quotidien, il le balaya d’un revers de la main en mettant l’argument du manque de finance sur la table. A l’idée de faire appel à sa belle-soeur pour aider Sata, il refusa également argumentant que c’est une bouche de plus à nourrir et que ça ne peut pas durer éternellement. La seule solution pour lui sera cette autre femme. A nourrir certes, mais qui restera à vie dans la maison et pourra aider la première, Sata. Tout cela, sans dépenser un seul sou. Tout le monde y gagnera d’ailleurs. Lui, car il aura une nouvelle compagnie et elle, car elle sera assistée dans ses travaux ménagers. Elle rétorquera avec fermeté, tristesse, dégout qu’elle ne veut pas de cette aide. Tout ce qu’elle demande c’est passer du temps avec lui et gérer son ménage toute seule.

« Comment pourras-tu partager ton temps entre deux femmes si aujourd’hui on ne peut même pas passer quelques minutes ensemble (sauf pour accomplir le devoir conjugal).Tu quittes la concession à 5h du matin. De retour à 14h pour déjeuner et faire ta sieste. Quand tu reprends tes activités  à 16h, les enfants et moi te revoyons que tard dans la nuit  si nous avons la chance d’être encore éveillés.”

Abu considère cette absence normale et surtout justifiée. Il faut bien qu’il nourrisse la famille et ce n’est pas en restant dans la maison qu’il y arriverait. Conclut-il.

Il était tard. Sata était à cours d’arguments devant cet homme déjà décidé. J’ai assisté à cette scéne, impuissante. Non pas à la décision d’Abu d’épouser une nouvelle femme, mais à l’impuissance de Sata face à la situation de polygamie qu’elle va devoir vivre dans quelques mois, peut-etre même quelques jours. La mort dans l’âme, elle demande une dernière faveur à son mari : celle d’épouser une jeune femme fraiche et vierge pour leur éviter à tous les deux de potentielles maladies. C’était la capitulation. Sa dernière phrase indisposa toute l’assemblée. C’est fini. La soirée était terminée. Chacun se lève pour regagner sa parcelle. Sur le chemin menant à ma chambre d’hôte, j’entends les murmures de Sata :

”J’espère qu’avec l’arrivée de cette nouvelle femme, tu passeras plus de temps à la maison. Je préfère te voir ici avec une autre femme que de me dire que tu es quelque part dans la nature avec …”

Pour la première fois, je rencontre une femme rurale parler de la polygamie avec autant de liberté et de clarté. Une femme qui parle ouvertement de sa souffrance à l’inconnue que j’étais. Preuve qu’elle agonisait. Les autres, intériorisent la chose. C’est le cas de Maty par exemple. Elles n’acceptent pas ou ne comprennent même pas qu’une des leurs en parle ouvertement. Elles me diront plus tard que :

“Sata parle beaucoup mais c’est normal, c’est une wolof. Eux ils parlent beaucoup. »

Argument que j’ai trouvé minable et triste à la fois. Cette jeune femme est un cadavre ambulant. Elle n’a plus sa tête et son corps avec elle. Dévastée. Meurtrie par un statut qui n’est pas encore entrée en vigueur dans son foyer.  Quant à la belle Maty, elle vit au jour le jour tout en repoussant cette réalité de son milieu. L’arrivée de la seconde ne va pas tarder. Elle le sait.
Ces deux jeunes femmes sont trés différentes. De par leur caractère et leur histoire mais ont un dénominateur commun : le même type d’homme. Des individus chez qui on note un vide d’intelligence et d’amour et un trop plein de tradition et d’égoïsme. Je me permets d’emprunter la phrase de Souleymane Elgas, l’auteur d’un Dieu et des Moeurs pour conclure cette histoire sur ces scènes vraies qui se sont déroulées sous mes yeux : « La tragédie de la femme Africaine, c’est son homme ».

Il ne s’agit pas là, d’un billet sur pour ou contre la polygamie. A quoi bon? Il s’agit là d’un partage d’un moment d’émotion intense. Quand je suis rentrée à Dakar et que j’ai conté cette histoire à mon entourage proche, j’en suis sortie avec “yaw danga doff té soff. Laisse nous tranquille avec tes yeuffou toubab, mounane émotion”. Je ne prendrai pas la peine de traduire ces mots. Il faudra juste considérer que c’est l’insulte suprême pour moi. Mais quelle émotion! 

Aminata Thior


Sénégal : Mon top 5 du hashtag #PrometDesTrucsCommeMackySall

Quand on me parle de la promesse non tenue du Président Macky Sall à savoir passer son mandat de 7 à 5ans, certains mots se bousculent dans ma tête : Polémique, débat, désordre et inspiration.

Ce désaveux du Président a inspiré les Sénégalais le mardi 23 Février dans la twittosphère. Il faut être inspiré pour créer un Hashtag où le but est de faire des promesses délirantes et irréalisables  (#PrometDesTrucsCommeMackySall). Et il faut l’être également pour écrire autant de drôleries dans ce Hashtag.

Voici mon Top 5 des tweets  #PrometDesTrucsCommeMackySall

#PrometDesTrucsCommeMackySall Je m’engage a faire du ramadan comme la coupe du monde: Tous les 4 ans et par pays

Posté par Mbaye Thiaba Mbaye sur mercredi 24 février 2016

Quand je serais président je construirais une usine de refroidissement des rayons solaires à Matam.#PrometDesTrucsCommeMackySall

Posté par Saidou Abdoul BA sur mercredi 24 février 2016

 

Moi President, je ferai en sorte que le gri-gri soit le seul traitement autorisé dans tous les hopitaux #PrometDesTrucsCommeMackySall

Posté par Pro Khalifa Sall sur mardi 23 février 2016

 

Moi président, je ferai appliquer mon Plan Senegal Détergent…Même so démé douss diaratoul ngey raxassou ndakh leppey detergent!Bo Chroniqueur Ni’Croc’Ni’Coeur #PrometDesTrucsCommeMackySall

Posté par Sambaa Ibn Tamiramata Bokoom sur mardi 23 février 2016

 

#PrometdesTrucsCommeMackySall4 piss piss de déodorant obligatoire dans les transports en commun. Ce sera compris sur le tarif du billet. #UtilitéPublique

Posté par El Bachir Niang sur mardi 23 février 2016

 

Gormack THIOR


Commentaires sur un coup de cœur lecture : Nous sommes tous des féministes.

Vous connaissez cette émotion qu’on ressent quand on a le cœur qui fait boum, boum ? Vous savez, cette sensation qui vous donne l’impression que votre cœur va lâcher?  Qu’il va changer de place? Ou qu’il va sortir de la poitrine ? En général, on la ressent  quand on est amoureux (se), ou quand on revoit l’être aimé après une longue période d’absence. Eh bien, j’ai ce ressenti à chaque fois que je lis « Nous sommes tous des féministes » de l’écrivaine nigériane Chimamanda  Ngozi Adichie, et je n’exagère en rien.

Livre
Nous sommes tous des féministes Source : google image

Cet essai de 87 pages est publié aux Editions Folio, et est composé de deux parties : Nous sommes tous des féministes et Les marieuses. Dans ce billet, je fais le choix de parler uniquement de la première partie qui est pour moi la nouveauté dans ce livre. “Nous sommes tous des Féministes » est un discours que Chimamanda Adichie avait prononcé en décembre 2012 au TEDxEuston, une conférence annuelle sur l’Afrique. Aujourd’hui, c’est un best-seller.

A partir d’expériences personnelles, l’écrivaine nigériane nous parle de sa vision du féminisme et des clichés qui y sont associés. Les mots utilisés sont simples,  les exemples concrets et percutents. Avec humour, les anecdotes partagées interpellent le lecteur. Elles le poussent à dire si les arguments de l’auteur tiennent ou pas. Et c’est cette interrogation permanente tout au long de la lecture qui est excitante et enrichissante.

Toutes les petites histoires racontées dans cet essai pour montrer, rappeler, dénoncer certaines injustices que subissent les femmes, et parfois même les hommes, m’ont marquées. Toutes! Sans exception. Chaque histoire, chaque anecdote m’a fait penser à une image, une expérience vécue ou entendue.

Voici quelques extraits de ce best-seller qui m’ont marqués mais autant que ceux que je n’aurais pas cités.

AdichieDebout
C.N. Adichie. Source : Google image

Oups! Avant de vous donner ces extraits et du ressenti que j’en ai eu,  j’ai l’obligation de m’arrêter sur sa définition du féminisme que je trouve magnifique, et à laquelle j’adhère totalement : « J’ai décidé d’être désormais une féministe Africaine Heureuse qui ne déteste pas les hommes, qui aime mettre du brillant à lèvres et des talons hauts pour son plaisir, non pour séduire les hommes », a-t-elle déclaré au TED face aux critiques selon lesquelles le féminisme n’est pas une valeur africaine, et est le propre des femmes malheureuses qui haïssent les hommes.

 

 

Pour ma part, je suis une féministe. Et pourtant, je suis une Africaine (pas trop compliqué à voir), Heureuse (juste avec des bouquins, des débats et du sexe), j’adore les mecs (mais est-ce que j’ai le choix, les filles me détestent), j’aime les rouges à lèvre (bon, je les ai découverts un peu tard, mais ce n’est pas grave, je me rattrape en ce moment) et si je ne suis pas en talons, je maudis ma mère d’être petite de taille…

Bon! Passons maintenant à ces fameux extraits …

Les femmes et la colère

Si vous êtes une femme, vous n’êtes pas censée exprimer votre colère parce-qu’elle est menaçante. Une de mes amies américaines a remplacé un homme à un poste de cadre. Son prédécesseur était considéré comme « un battant plutôt dur »; il ne mâchait pas ses mots, il était exigeant et particulièrement rigoureux en matière de feuille de présence. Elle s’est lancée dans son nouveau travail en s’imaginant être tout aussi dure quoique peut-être plus gentille que lui – contrairement à elle, il n’avait pas toujours conscience que les gens avaient des familles.  Au bout d’à peine quelques semaines, elle a réprimandé un employé qui avait trafiqué sa feuille de présence, exactement comme l’aurait fait son prédécesseur. L’employé s’est alors plaint de son attitude à la direction : c’était difficile de travailler avec mon amie, elle était agressive. D’autres employés abondèrent dans son sens. L’un spécifia qu’ils s’attendaient à ce qu’elle introduise « une touche féminine » dans son travail mais que ça n’avait pas été le cas. Aucun d’eux ne s’est rendu compte qu’un homme qui se serait comporté de la sorte aurait été félicité.

Cet exemple m’a particulièrement marqué, car j’ai vécu et constaté des expériences similaires en entreprise. Récemment avec des collègues femmes, nous nous disions à quel point c’était dur de mener des réunions où il y a essentiellement des hommes. Notre ton sec est souvent interprété comme de l’autoritarisme, et notre désaccord de l’agressivité. Alors que si un tel comportement est observé chez les hommes, cela relève de la normalité.  Combien de fois, ai-je entendu dans le bureau “Oh là là, elle va sortir le fouet”, juste parce-que j’ai à peine élevé la voix sur un fournisseur. Inutile de préciser que ça ne choquerait personne si c’était un collègue homme. Résultat des courses? Il y a en qui continuent d’être elles-mêmes tout en acceptant l’étiquette “Agressive” collée sur leur front, certaines prennent sur elles mais se précipitent toujours dans les toilettes pour pleurer (non, chialer!)  et d’autres font ce que la société attend d’elles : être douce ou se taire. Et si nous acceptions tous que la femme aussi puisse être en colère, et surtout qu’elle ait cette liberté de l’exprimer comme elle l’entend, comme elle le ressent, sans se soucier du qu’en dira-t-on?

L’éducation des garçons

Notre façon d’éduquer les garçons les dessert énormément. Nous réprimons leur humanité. Notre définition de la virilité est très restreinte. La virilité est une cage exiguë, rigide et nous y enfermons les garçons.

Nous apprenons aux garçons à redouter la peur, la faiblesse, la vulnérabilité. Nous leur apprenons à dissimuler leur vrai moi, car ils sont obligés d’être, dans le parler nigérian, « des hommes durs”

[…] Mais ce que nous faisons de pire aux hommes en les convainquant que la dureté est une obligation, c’est de les laisser avec un égo très fragile. Plus un homme se sent contraint d’être dur, plus son égo est faible.

“C’est tellement vrai”. C’est ce qu’on arrête pas de se dire tout au long de la lecture de cet essai. Cet extrait m’a ramené à Dakar. Jeune, mon grand frère pleurait pour un Oui ou un Non. Je me rappelle que mon père lui disait toujours, sur un ton sévère  “Cheikh Goor du Dioye, Goor day degueur” (Cheikh, un homme ne doit pas pleurer. Un homme doit être solide, robuste, résilient, endurant). Il a arrété de pleurer du jour au lendemain, mais personne ne s’en était rendu compte,  jusqu’au jour où il a râté le bac. Je n’ai jamais autant versé de larmes que ce jour là. C’est comme si c’était moi qui avais passé le bac. Il m’a regardé et m’a dit : “Ce n’est pas le résultat de l’examen qui me fait mal. Ce qui me ronge, c’est le fait de vouloir pleurer et de ne pas y arriver. J’ai mal au coeur mais je ne peux pas l’exprimer et ça fait mal. Mais comment tu fais pour pleurer autant ?”. Qui s’était attardé sur son ressenti ? Personne. Ni moi, ni mes parents. Récemment, quand nous avions débattu en famille sur le livre et particulièrement sur ce passage là, j’étais ravie d’entendre mon père dire “En effet, ce n’est pas faux…”

L’éducation des filles

Quant aux filles, nos torts envers elles sont encore plus graves, parce-que nous les élevons de façon qu’elles ménagent l’égo fragile des hommes.

Nous apprenons aux filles à se diminuer, à se sous estimer. Nous leur disons : Tu peux être ambitieuse, mais pas trop. Tu dois viser la réussite sans qu’elle ne soit trop spectaculaire, sinon tu seras une menace pour les hommes. Si tu es le soutien de famille dans ton couple, feins de ne pas l’être, notamment en public, faute de quoi, tu l’emasculeras (lui enlever sa masculinité en gros).

A la lecture de cet extrait, j’ai pensé à toutes mes copines qui gagnent plus que leur conjoint, et qui se retrouvent très souvent à rassurer ces derniers pour qu’ils ne se sentent pas inutiles (Je n’ai toujours pas compris d’ailleurs pourquoi ils le prennent mal, de toute façon, c’est pour la famille non? Bon d’accord, c’est plus compliqué que cela.). A toutes celles qui se sous-estiment ou se diminuent pour ne pas faire de l’ombre à leur homme. A ce jour, je n’ai toujours pas compris comment la réussite d’une femme pouvait être menaçante pour un homme? Cela n’amène t-il pas à éduquer les garçons et les filles autrement?  Cette question sur l’éducation est cruciale. Comment peut-on dire aujourd’hui à un homme (le “vrai”, le “dur” svp) que ce n’est pas grave si sa chérie gagne plus que lui alors qu’on a passé une bonne partie de sa vie à lui répéter que c’est toi le chef, c’est toi qui doit ramener les sous et t’occuper de la famille. Comment dire aujourd’hui à la femme, sois ambitieuse ou ne te sous-estime pas si on lui a fait comprendre le contraire depuis toute petite?

Et si nous laissions aux garçons leur humanité : si tu as envie de pleurer, bah pleure, tu ne vas pas mourir, au contraire, ça va te faire du bien. Et puis les filles adorent les garçons qui pleurent! Ou pas!

Et si nous inculquions aux filles, les notions de liberté et d’ambition : du point de vue de l’intelligence, tu as autant de capacités que lui, alors ne te met aucune limite.

Je reste persuadée que c’est à l’enfance qu’il faut traiter ces symptômes là.

Le silence des hommes sur la question du genre

[…]. Et c’est un élément du problème. Que les hommes ne réfléchissent pas à cette question, n’en soient pas conscients. Qu’un grand nombre d’entre eux disent, à l’instar de mon ami Louis, que la situation des femmes était sans aucun doute désastreuse dans le passé, mais que tout va bien désormais. De sorte que beaucoup d’hommes ne font rien pour améliorer les choses. Si vous êtes un homme et que vous rentrez dans un restaurant où le serveur vous salue, est-ce que cela vous viendrait à l’esprit de lui demander « Pourquoi ne l’avez-vous pas saluée ? ». Il est impératif que les hommes réagissent à tous ces faits flagrants de la vie quotidienne.

“Tellement vrai”. Eh oui! encore cette expression. Oui, il y a eu beaucoup d’avancées sur la situation des femmes, je le reconnais. Mais il reste beaucoup de choses à améliorer. Encore une petite anecdote. Récemment, j’étais à un mariage avec un couple d’amis et leur petite fille. Une connaissance s’est avancée vers nous et a demandé à mon amie, sur un ton accusateur mais doux: “mais pourquoi tu laisses ton mari s’occuper de la petite? “. Naturellement, elle a répondu à la question, et nous sommes passés à autre chose.

A la fin de la soirée, j’ai demandé au mari pourquoi il n’avait pas répondu …. Sa réponse m’a enragé : “J’ai trouvé sa question idiote, ben voyons, je suis son père non, je dois m’en occuper, c’est naturel, c’est normal”.  Inutile de vous dire que j’aurai souhaité qu’il le crie fort cette affirmation. Et s’il venait aux hommes de répondre à ce genre d’interpellation? Personnellement, je pense que ça aurait plus de poids, plus d’effet, plus d’aplomb. En se taisant devant certains faits banalisés de la vie quotidienne, le silence des homme porte parfois un énorme préjudice à la femme.

Le malaise sur la question du genre

Une conversation sur la question du genre n’est jamais facile. Cela gêne ou même agace les gens. Hommes et Femmes sont tous hostiles au sujet, quand ils ne s’empressent pas de récuser les problèmes de discrimination sexiste. Parce-que la remise en cause d’un statu quo n’est jamais chose aisée.

“C’est tellement vrai”. Combien de fois mes discussions sur la question du genre se sont terminées par “Oui mais c’est comme ça”. Comme je me sens impuissante face à ce genre de réponse. Ou bien,  “Ah mais toi, t’es féministe” Traduction : ça ne sert à rien de continuer la discussion, on connait déjà ta position. Au début, cette réponse me donnait des envies de meurtre. Aujourd’hui, quand on me la balance sur la figure, j’ai juste cette furtive envie de creuser un trou et de m’y engouffrer. Progrès!?Jusqu’à présent, je n’ai pas encore trouvé le bon moyen d’aborder ce sujet sans que les gens ne fuient. Certaines filles ont honte de se dire féministe; un peu normal vu les connotations négatives que ça reflètent et les hommes s’ennuient avec ce genre de débat; normal parce-qu’on remet en cause leur position de confort. C’est léger comme argument me diront-ils.

La réconciliation

Pour ma part, je considère comme féministe, un homme ou une femme qui dit, oui, la question du genre telle qu’elle existe aujourd’hui pose problème et nous devons la régler, nous devons faire mieux. Tous autant que nous sommes, femmes et hommes .

Finalement, la définition qu’elle donne du féminisme pourrait bien permettre de se réconcilier avec ce mot et d’initier ainsi le débat sur la question du genre. Ce qui serait magnifique, c’est que Hommes et Femmes se sentent concernés dans ce combat.

Je vous le conseille vivement. Ce n’est pas cher et c’est vite lu. Lisez-le, faites-le lire. Débattez-en! Et puis c’est drôle!

Bonus  : j’ai offert cet essai comme cadeau de Noël 2015 à mes hommes proches et voici quelqu’uns de leurs points marquants. La version longue fut passionnante et enrichissante.

Alou : « Puré, trés bon livre. Il n y a pas de suite? » Hum, je pense qu’il parle de la suite sur “Les Marieuses”.

Mor : “S’il y a quelque chose à retenir c’est que l’auteure est sublime et qu’après lecture de cet essai,  tout Homme se sentirait à l’aise de se déclarer feministe et avec conviction bien sûr..!! Toutefois, il faudrait encore que la moitié de la société comprenne ce qu’est, être feministe pour que je daigne déclarer en être un; car pour le moment, ce n’est pas le cas ..!! a première partie de sa conclusion m’a donné Espoir. La 2ème partie m’a énervée.

Omzo : “Je ne resterai pas tout le temps devant le canapé, télécommande à la main et laisser ma femme faire le ménage :  Je ne veux pas que ma fille grandisse avec ce schéma en se disant que c’est ça, la normalité.” Le bonheur total d’entendre ça.

Pap : “Je n’aime pas ce livre. Elle a donné que des exemples négatifs. La condition de la femme a vraiment changé”. Le débat avec lui était harassant : il a en des tonnes de contre exemples dans la poche.

Oussou : “Tu as les femme qui detiennent le vrai pouvoir; elles gèrent tout à la maison et se laissent faire une fois dehors. Vous êtes plus intelligentes. Vous détenez le plus de pouvoir. J’ai juste envie de dire si vous vous laissez faire pourquoi les hommes que nous sommes seraient feministes lol. “ No comment!

Ibu : « Non le livre est excellent. Je ne suis pas d’accord avec tout mais c’est excellent. » Lui était à moitié convaincu! De l’espoir, j’ai encore!

Papa Poule : “Comment j’ai pu confier à quelqu’un d’autre, une chose aussi essentielle que la « capacité à se nourrir » ? Mais elle a raison cette nigériane ». Je vous laisse lire le livre pour comprendre. Je préciserai juste qu’il ne sait même pas appuyer sur le bouton “ON” d’un micro-onde.”

Gormack Thior


Lu et adoré : Femmes d’influence de Kati Marton

Je suis une de ces personnes qui achètent des livres juste en étant attirée par le titre ; surtout quand ça parle de femmes fortes, puissantes, ambitieuses et mystérieuses. Et c’est comme ça que je suis tombée sur ce petit bijou : « Femmes d’influence » de Kati Marton. De plus la couverture avec les locataires de la Maison Blanche m’a encore donné plus envie.FemmesCe livre retrace le parcours de 13 premières dames américaines qui ont marqué l’Histoire des Etats Unis. Des Wilson aux Obama en passant par les Roosevelt, Kennedy et Clinton, l’auteure nous raconte le rôle joué par ces femmes pendant la présidence de leur mari. Je suis admirative devant ces dames qui ont choisi l’activisme : Eleanor Roosevelt, Hillary Clinton ; séduite par celles qui ont exercé leur influence dans l’ombre : Rosalyn Carter, Edith Wilson et transportée par celles qui ont choisi de faire avancer de grandes causes : Lady Bird Johnson, Jackie Kennedy.

A travers ce livre, on se rend compte davantage à quel point certaines « First Ladies » ont marqué l’histoire de leur pays mais également celle du monde. A la fin de ma lecture, j’ai été marquée par :

  • Eleanor Roosevelt, aimée pour son charisme, son courage et sa dignité. Malgré son intérêt fort pour la politique, elle n’a jamais voulu voler la vedette à son mari. On lui avait proposé plusieurs postes stratégiques dans l’administration américaine mais elle les avait tous refusés tout en continuant à être très active au niveau national sans gêner son mari.
  • Jacky Kennedy, remarquée par sa beauté, son goût pour l’art plutôt que son intérêt pour la politique. Elle avait ce don de faire bouger les choses auprès de grands dirigeants du monde juste par sa prestance : par le regard, la petite phrase, le petit geste …
  • Hillary Clinton, la femme très intelligente et très complexe. Elle a voulu l’amour, le couple, la féminité, la famille et le pouvoir. Contrairement à la plupart des First Lady américaines, Hillary a eu son propre bureau à la maison blanche, avec ses propres équipes. Elle a bouleversé le rôle de la première dame. Elle traitait de grands dossiers notamment celui de la sécurité maladie qui s’est soldé par un KO. Elle a été ensuite vraiment détestée par les américains à un moment donné de la présidence de son mari. Elle a toujours l’échec du projet de l’assurance maladie, son silence sur la relation Bill Clinton/Monica Lewinski qui le suivent encore aujourd’hui. Par contre ceux qui la détestent comme ceux qui l’aiment reconnaissent qu’elle est une battante, une obstinée et qu’elle veut faire de la politique tout autant que son mari.

Le livre ne donne pas beaucoup d’éléments sur Michèle Obama. Elle venait tout juste d’entrer à la Maison Blanche lorsque ce bouquin est sorti. Mais il faut retenir qu’elle a une bonne cote de popularité aux États-Unis. Elle n’a pas encore pris une position forte dans la sphère politique mais elle a une présence remarquable au niveau social. Son atout, c’est l’image que les Obama transmettent au peuple américain : une belle famille, des photos « du couple heureux », et ça, les américains en raffolent.

L’intimité de ces dames de fer n’est pas laissée en rade par l’auteure et ce point m’a également marqué. Elles sont arrivées à la Maison Blanche à des périodes différentes. Certaines sont restées dans le traditionalisme (se limitant à s‘occuper du mari et des enfants) et d’autres ont opté pour la modernité (elles étaient plus visibles, plus actives dans la politique) mais toutes avaient un point commun : le silence face aux scandales sexuels de leur mari. Elles ont toutes été au courant des frasques de leur mari mais aucune d’elle n’a quitté le Président. Aucune d’elle n’a choisi le divorce. Certaines ont eu la chance d’être dans une époque où les Médias n’étaient pas développés donc les affaires sexuelles du Président ne sortaient pas de la Maison Blanche. C’est le cas des Roosevelt. Pour d’autres, elles n’ont pas eu cette chance. L’exemple le plus récent est l’affaire entre Bill Clinton et Monica Lewinsky. Hillary Clinton est quand même restée. Elles sont toutes restées pour la famille et/ou pour la politique.

En lisant ce livre, je n’ai pas pu m’empêcher de penser aux premières dames sénégalaises et françaises.

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Source : Google images. De Gauche à droite : Colette Senghor, Elisabeth Diouf, Viviane Wade et Marième Sall

Le Sénégal n’a eu que 4 Premières Dames en 55 ans : Colette Senghor, Élisabeth Diouf, Viviane Wade et Marième Faye Sall. Dans mes recherches, je n’ai pas trouvé un seul livre ou un seul article entièrement, exclusivement consacré à ces Premières Dames sénégalaises. C’est en parlant de leur mari, qu’on les associe aux écrits. A part leur fondation ou leur case des tous petits, peu de sénégalais savent exactement le rôle joué par ces femmes dans l’histoire politique du Sénégal. Avaient-elles un rôle symbolique ou activiste ? Certainement symbolique car on a jamais vu de première dame très active dans la vie politique et économique du Sénégal. Ou si c’est le cas, leurs actions n’ont pas été portées à la connaissance de la nation. Ce qui est le contraire de toutes leurs oeuvres sociales, qui elles sont visibles ou en tout cas plus relayées.

Aujourd’hui toute personne intéressée, passionnée par le rôle joué par ces femmes sénégalaises devra faire le tour des hommes d’Etats ou de ceux qui les ont côtoyés (Abdoulaye Wade, Abdou Diouf, Cheikh Hamidou kane, Habib Thiam, Bruno Diatta(cette bibliothèque ambulante)…) pour avoir des informations. Et c’est dans ce genre de contexte, qu’on se rend compte encore une fois ; que nos journalistes n’ont pas la culture de l’écrit…

Quant aux Premières Dames Françaises, je ne parlerai que de celles que j’ai connues à travers des livres, articles et documentaires : Bernadette Chirac, Cecilia Attias, Carla Bruni et Valérie Trieweiler.

Une Bernadette Chirac intelligente, discrète et influente dans les domaines politique, économique et social et ce jusqu’à aujourd’hui. Elle est à ce jour, la seule épouse d’un Président de la République Française à avoir exercé des mandats électifs (conseillère municipale, conseillère générale, adjointe au maire,…). Elle me fait penser à Hillary Clinton, très active également en politique.

Une Celia Athias qui n’a pas duré à l’Élysée mais qui a la réputation d’être une femme de caractère très indépendante. Elle a un fort réseau et a beaucoup œuvré dans la carrière de Nicolas Sarkozy, surtout quand il était à la place Beauvau, au ministère de l’intérieur. Dégoutée par les coups bas dans ce monde de loups des politiques, elle n’était pas prête à jouer le rôle de Dame de la nation. On ne saura jamais quel genre de Première Dame elle aurait été…

S’il y a une personne qui déteste la politique et tout ce qui tourne autour, c’est bien Carla Bruni. Elle était l’exemple typique de la première dame qui a joué un rôle symbolique : accompagner son mari dans ses déplacements, s’afficher pour quelques actions sociales et rien de plus. On ne lui demandait pas plus et elle ne voulait pas faire plus.

Et Trierweiler, je retiendrai d’elle comme la première dame (si j’ose la nommer ainsi) qui n’a jamais su trouver sa place. Celle qui devait même s’excuser d’être une Première Dame sans réellement l’être.

Des États Unis en France en passant par le Sénégal, on peut bien imaginer que les premières ont toutes eu une influence sur leur mari et donc sur les décisions dans la gestion de leur nation. Après c’est plus ou moins visible dans certains pays que dans d’autres.

Ce livre de Kati Marton spécialement bien documenté, montre à quel point la devise de Hillary Clinton, utilisé lors de la campagne de son mari,  » Deux pour le prix d’un « , s’est souvent démontrée dans l’histoire américaine mais aussi dans d’autres continents.

A lire. Pour les passionnés de l’Histoire.

Gormack