Commentaires sur un coup de cœur lecture : Nous sommes tous des féministes.

Article : Commentaires sur un coup de cœur lecture : Nous sommes tous des féministes.
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19 février 2016

Commentaires sur un coup de cœur lecture : Nous sommes tous des féministes.

Vous connaissez cette émotion qu’on ressent quand on a le cœur qui fait boum, boum ? Vous savez, cette sensation qui vous donne l’impression que votre cœur va lâcher?  Qu’il va changer de place? Ou qu’il va sortir de la poitrine ? En général, on la ressent  quand on est amoureux (se), ou quand on revoit l’être aimé après une longue période d’absence. Eh bien, j’ai ce ressenti à chaque fois que je lis « Nous sommes tous des féministes » de l’écrivaine nigériane Chimamanda  Ngozi Adichie, et je n’exagère en rien.

Livre
Nous sommes tous des féministes Source : google image

Cet essai de 87 pages est publié aux Editions Folio, et est composé de deux parties : Nous sommes tous des féministes et Les marieuses. Dans ce billet, je fais le choix de parler uniquement de la première partie qui est pour moi la nouveauté dans ce livre. “Nous sommes tous des Féministes » est un discours que Chimamanda Adichie avait prononcé en décembre 2012 au TEDxEuston, une conférence annuelle sur l’Afrique. Aujourd’hui, c’est un best-seller.

A partir d’expériences personnelles, l’écrivaine nigériane nous parle de sa vision du féminisme et des clichés qui y sont associés. Les mots utilisés sont simples,  les exemples concrets et percutents. Avec humour, les anecdotes partagées interpellent le lecteur. Elles le poussent à dire si les arguments de l’auteur tiennent ou pas. Et c’est cette interrogation permanente tout au long de la lecture qui est excitante et enrichissante.

Toutes les petites histoires racontées dans cet essai pour montrer, rappeler, dénoncer certaines injustices que subissent les femmes, et parfois même les hommes, m’ont marquées. Toutes! Sans exception. Chaque histoire, chaque anecdote m’a fait penser à une image, une expérience vécue ou entendue.

Voici quelques extraits de ce best-seller qui m’ont marqués mais autant que ceux que je n’aurais pas cités.

AdichieDebout
C.N. Adichie. Source : Google image

Oups! Avant de vous donner ces extraits et du ressenti que j’en ai eu,  j’ai l’obligation de m’arrêter sur sa définition du féminisme que je trouve magnifique, et à laquelle j’adhère totalement : « J’ai décidé d’être désormais une féministe Africaine Heureuse qui ne déteste pas les hommes, qui aime mettre du brillant à lèvres et des talons hauts pour son plaisir, non pour séduire les hommes », a-t-elle déclaré au TED face aux critiques selon lesquelles le féminisme n’est pas une valeur africaine, et est le propre des femmes malheureuses qui haïssent les hommes.

 

 

Pour ma part, je suis une féministe. Et pourtant, je suis une Africaine (pas trop compliqué à voir), Heureuse (juste avec des bouquins, des débats et du sexe), j’adore les mecs (mais est-ce que j’ai le choix, les filles me détestent), j’aime les rouges à lèvre (bon, je les ai découverts un peu tard, mais ce n’est pas grave, je me rattrape en ce moment) et si je ne suis pas en talons, je maudis ma mère d’être petite de taille…

Bon! Passons maintenant à ces fameux extraits …

Les femmes et la colère

Si vous êtes une femme, vous n’êtes pas censée exprimer votre colère parce-qu’elle est menaçante. Une de mes amies américaines a remplacé un homme à un poste de cadre. Son prédécesseur était considéré comme « un battant plutôt dur »; il ne mâchait pas ses mots, il était exigeant et particulièrement rigoureux en matière de feuille de présence. Elle s’est lancée dans son nouveau travail en s’imaginant être tout aussi dure quoique peut-être plus gentille que lui – contrairement à elle, il n’avait pas toujours conscience que les gens avaient des familles.  Au bout d’à peine quelques semaines, elle a réprimandé un employé qui avait trafiqué sa feuille de présence, exactement comme l’aurait fait son prédécesseur. L’employé s’est alors plaint de son attitude à la direction : c’était difficile de travailler avec mon amie, elle était agressive. D’autres employés abondèrent dans son sens. L’un spécifia qu’ils s’attendaient à ce qu’elle introduise « une touche féminine » dans son travail mais que ça n’avait pas été le cas. Aucun d’eux ne s’est rendu compte qu’un homme qui se serait comporté de la sorte aurait été félicité.

Cet exemple m’a particulièrement marqué, car j’ai vécu et constaté des expériences similaires en entreprise. Récemment avec des collègues femmes, nous nous disions à quel point c’était dur de mener des réunions où il y a essentiellement des hommes. Notre ton sec est souvent interprété comme de l’autoritarisme, et notre désaccord de l’agressivité. Alors que si un tel comportement est observé chez les hommes, cela relève de la normalité.  Combien de fois, ai-je entendu dans le bureau “Oh là là, elle va sortir le fouet”, juste parce-que j’ai à peine élevé la voix sur un fournisseur. Inutile de préciser que ça ne choquerait personne si c’était un collègue homme. Résultat des courses? Il y a en qui continuent d’être elles-mêmes tout en acceptant l’étiquette “Agressive” collée sur leur front, certaines prennent sur elles mais se précipitent toujours dans les toilettes pour pleurer (non, chialer!)  et d’autres font ce que la société attend d’elles : être douce ou se taire. Et si nous acceptions tous que la femme aussi puisse être en colère, et surtout qu’elle ait cette liberté de l’exprimer comme elle l’entend, comme elle le ressent, sans se soucier du qu’en dira-t-on?

L’éducation des garçons

Notre façon d’éduquer les garçons les dessert énormément. Nous réprimons leur humanité. Notre définition de la virilité est très restreinte. La virilité est une cage exiguë, rigide et nous y enfermons les garçons.

Nous apprenons aux garçons à redouter la peur, la faiblesse, la vulnérabilité. Nous leur apprenons à dissimuler leur vrai moi, car ils sont obligés d’être, dans le parler nigérian, « des hommes durs”

[…] Mais ce que nous faisons de pire aux hommes en les convainquant que la dureté est une obligation, c’est de les laisser avec un égo très fragile. Plus un homme se sent contraint d’être dur, plus son égo est faible.

“C’est tellement vrai”. C’est ce qu’on arrête pas de se dire tout au long de la lecture de cet essai. Cet extrait m’a ramené à Dakar. Jeune, mon grand frère pleurait pour un Oui ou un Non. Je me rappelle que mon père lui disait toujours, sur un ton sévère  “Cheikh Goor du Dioye, Goor day degueur” (Cheikh, un homme ne doit pas pleurer. Un homme doit être solide, robuste, résilient, endurant). Il a arrété de pleurer du jour au lendemain, mais personne ne s’en était rendu compte,  jusqu’au jour où il a râté le bac. Je n’ai jamais autant versé de larmes que ce jour là. C’est comme si c’était moi qui avais passé le bac. Il m’a regardé et m’a dit : “Ce n’est pas le résultat de l’examen qui me fait mal. Ce qui me ronge, c’est le fait de vouloir pleurer et de ne pas y arriver. J’ai mal au coeur mais je ne peux pas l’exprimer et ça fait mal. Mais comment tu fais pour pleurer autant ?”. Qui s’était attardé sur son ressenti ? Personne. Ni moi, ni mes parents. Récemment, quand nous avions débattu en famille sur le livre et particulièrement sur ce passage là, j’étais ravie d’entendre mon père dire “En effet, ce n’est pas faux…”

L’éducation des filles

Quant aux filles, nos torts envers elles sont encore plus graves, parce-que nous les élevons de façon qu’elles ménagent l’égo fragile des hommes.

Nous apprenons aux filles à se diminuer, à se sous estimer. Nous leur disons : Tu peux être ambitieuse, mais pas trop. Tu dois viser la réussite sans qu’elle ne soit trop spectaculaire, sinon tu seras une menace pour les hommes. Si tu es le soutien de famille dans ton couple, feins de ne pas l’être, notamment en public, faute de quoi, tu l’emasculeras (lui enlever sa masculinité en gros).

A la lecture de cet extrait, j’ai pensé à toutes mes copines qui gagnent plus que leur conjoint, et qui se retrouvent très souvent à rassurer ces derniers pour qu’ils ne se sentent pas inutiles (Je n’ai toujours pas compris d’ailleurs pourquoi ils le prennent mal, de toute façon, c’est pour la famille non? Bon d’accord, c’est plus compliqué que cela.). A toutes celles qui se sous-estiment ou se diminuent pour ne pas faire de l’ombre à leur homme. A ce jour, je n’ai toujours pas compris comment la réussite d’une femme pouvait être menaçante pour un homme? Cela n’amène t-il pas à éduquer les garçons et les filles autrement?  Cette question sur l’éducation est cruciale. Comment peut-on dire aujourd’hui à un homme (le “vrai”, le “dur” svp) que ce n’est pas grave si sa chérie gagne plus que lui alors qu’on a passé une bonne partie de sa vie à lui répéter que c’est toi le chef, c’est toi qui doit ramener les sous et t’occuper de la famille. Comment dire aujourd’hui à la femme, sois ambitieuse ou ne te sous-estime pas si on lui a fait comprendre le contraire depuis toute petite?

Et si nous laissions aux garçons leur humanité : si tu as envie de pleurer, bah pleure, tu ne vas pas mourir, au contraire, ça va te faire du bien. Et puis les filles adorent les garçons qui pleurent! Ou pas!

Et si nous inculquions aux filles, les notions de liberté et d’ambition : du point de vue de l’intelligence, tu as autant de capacités que lui, alors ne te met aucune limite.

Je reste persuadée que c’est à l’enfance qu’il faut traiter ces symptômes là.

Le silence des hommes sur la question du genre

[…]. Et c’est un élément du problème. Que les hommes ne réfléchissent pas à cette question, n’en soient pas conscients. Qu’un grand nombre d’entre eux disent, à l’instar de mon ami Louis, que la situation des femmes était sans aucun doute désastreuse dans le passé, mais que tout va bien désormais. De sorte que beaucoup d’hommes ne font rien pour améliorer les choses. Si vous êtes un homme et que vous rentrez dans un restaurant où le serveur vous salue, est-ce que cela vous viendrait à l’esprit de lui demander « Pourquoi ne l’avez-vous pas saluée ? ». Il est impératif que les hommes réagissent à tous ces faits flagrants de la vie quotidienne.

“Tellement vrai”. Eh oui! encore cette expression. Oui, il y a eu beaucoup d’avancées sur la situation des femmes, je le reconnais. Mais il reste beaucoup de choses à améliorer. Encore une petite anecdote. Récemment, j’étais à un mariage avec un couple d’amis et leur petite fille. Une connaissance s’est avancée vers nous et a demandé à mon amie, sur un ton accusateur mais doux: “mais pourquoi tu laisses ton mari s’occuper de la petite? “. Naturellement, elle a répondu à la question, et nous sommes passés à autre chose.

A la fin de la soirée, j’ai demandé au mari pourquoi il n’avait pas répondu …. Sa réponse m’a enragé : “J’ai trouvé sa question idiote, ben voyons, je suis son père non, je dois m’en occuper, c’est naturel, c’est normal”.  Inutile de vous dire que j’aurai souhaité qu’il le crie fort cette affirmation. Et s’il venait aux hommes de répondre à ce genre d’interpellation? Personnellement, je pense que ça aurait plus de poids, plus d’effet, plus d’aplomb. En se taisant devant certains faits banalisés de la vie quotidienne, le silence des homme porte parfois un énorme préjudice à la femme.

Le malaise sur la question du genre

Une conversation sur la question du genre n’est jamais facile. Cela gêne ou même agace les gens. Hommes et Femmes sont tous hostiles au sujet, quand ils ne s’empressent pas de récuser les problèmes de discrimination sexiste. Parce-que la remise en cause d’un statu quo n’est jamais chose aisée.

“C’est tellement vrai”. Combien de fois mes discussions sur la question du genre se sont terminées par “Oui mais c’est comme ça”. Comme je me sens impuissante face à ce genre de réponse. Ou bien,  “Ah mais toi, t’es féministe” Traduction : ça ne sert à rien de continuer la discussion, on connait déjà ta position. Au début, cette réponse me donnait des envies de meurtre. Aujourd’hui, quand on me la balance sur la figure, j’ai juste cette furtive envie de creuser un trou et de m’y engouffrer. Progrès!?Jusqu’à présent, je n’ai pas encore trouvé le bon moyen d’aborder ce sujet sans que les gens ne fuient. Certaines filles ont honte de se dire féministe; un peu normal vu les connotations négatives que ça reflètent et les hommes s’ennuient avec ce genre de débat; normal parce-qu’on remet en cause leur position de confort. C’est léger comme argument me diront-ils.

La réconciliation

Pour ma part, je considère comme féministe, un homme ou une femme qui dit, oui, la question du genre telle qu’elle existe aujourd’hui pose problème et nous devons la régler, nous devons faire mieux. Tous autant que nous sommes, femmes et hommes .

Finalement, la définition qu’elle donne du féminisme pourrait bien permettre de se réconcilier avec ce mot et d’initier ainsi le débat sur la question du genre. Ce qui serait magnifique, c’est que Hommes et Femmes se sentent concernés dans ce combat.

Je vous le conseille vivement. Ce n’est pas cher et c’est vite lu. Lisez-le, faites-le lire. Débattez-en! Et puis c’est drôle!

Bonus  : j’ai offert cet essai comme cadeau de Noël 2015 à mes hommes proches et voici quelqu’uns de leurs points marquants. La version longue fut passionnante et enrichissante.

Alou : « Puré, trés bon livre. Il n y a pas de suite? » Hum, je pense qu’il parle de la suite sur “Les Marieuses”.

Mor : “S’il y a quelque chose à retenir c’est que l’auteure est sublime et qu’après lecture de cet essai,  tout Homme se sentirait à l’aise de se déclarer feministe et avec conviction bien sûr..!! Toutefois, il faudrait encore que la moitié de la société comprenne ce qu’est, être feministe pour que je daigne déclarer en être un; car pour le moment, ce n’est pas le cas ..!! a première partie de sa conclusion m’a donné Espoir. La 2ème partie m’a énervée.

Omzo : “Je ne resterai pas tout le temps devant le canapé, télécommande à la main et laisser ma femme faire le ménage :  Je ne veux pas que ma fille grandisse avec ce schéma en se disant que c’est ça, la normalité.” Le bonheur total d’entendre ça.

Pap : “Je n’aime pas ce livre. Elle a donné que des exemples négatifs. La condition de la femme a vraiment changé”. Le débat avec lui était harassant : il a en des tonnes de contre exemples dans la poche.

Oussou : “Tu as les femme qui detiennent le vrai pouvoir; elles gèrent tout à la maison et se laissent faire une fois dehors. Vous êtes plus intelligentes. Vous détenez le plus de pouvoir. J’ai juste envie de dire si vous vous laissez faire pourquoi les hommes que nous sommes seraient feministes lol. “ No comment!

Ibu : « Non le livre est excellent. Je ne suis pas d’accord avec tout mais c’est excellent. » Lui était à moitié convaincu! De l’espoir, j’ai encore!

Papa Poule : “Comment j’ai pu confier à quelqu’un d’autre, une chose aussi essentielle que la « capacité à se nourrir » ? Mais elle a raison cette nigériane ». Je vous laisse lire le livre pour comprendre. Je préciserai juste qu’il ne sait même pas appuyer sur le bouton “ON” d’un micro-onde.”

Gormack Thior

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